La fin de la coalition « feu tricolore ». Les évolutions du paysage politique en Allemagne.
La fin de la coalition « feu tricolore ». Vers des élections anticipées le 23 février 2025.
Les évolutions du paysage politique en Allemagne
Par Jérôme Vaillant
La crise gouvernementale
La coalition « feu tricolore » au pouvoir à Berlin battait sérieusement de l’aile depuis des mois en raison des dissensions affichées ouvertement entre ses trois composantes, les Sociaux-démocrates du chancelier Scholz, les Verts dont les figures de proue étaient Robert Habeck, ministre de l’Économie, et Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères, et les Libéraux de Christian Lindner, ministre des Finances. Le reproche était régulièrement fait au chancelier de ne pas faire suffisamment usage de son droit constitutionnel à « déterminer les lignes de la politique » pour mettre un terme aux différends qui opposaient Verts et Libéraux mais également les Sociaux-démocrates sur les questions de financement de la transition énergétique et de la protection de l’environnement, globalement sur la politique budgétaire avec la question du frein à l’endettement[1]. C’est la parfaite illustration du fait qu’il ne suffit pas de disposer d’un droit pour s’imposer. C’est affaire de tempérament personnel mais avant tout la conséquence du fait que dans une coalition à deux et, à plus forte raison, à trois le chancelier est d’abord un coordinateur entre les partis qui la composent[2].
L’affichage public de ces différends avait de quoi étonner si l’on se rappelle que, conscients de leurs différences, Verts et Libéraux s’étaient fin 2021 concertés dans la plus grande discrétion pour vérifier s’ils étaient capables de s’entendre avant de s’associer pour gouverner avec le SPD, sorti étonnamment vainqueur, même si c’était de justesse, des élections fédérales du 26 septembre 2021[3]. La crise a été exacerbée par la décision du Tribunal constitutionnel fédéral du 15 novembre 2023[4] annulant la loi rectificative du budget 2021. Les Chrétiens-démocrates avaient saisi le tribunal fédéral constitutionnel parce qu’ils estimaient anticonstitutionnel un redéploiement des ressources financières de l’État consistant à affecter des réserves non utilisées, constituées pour combattre la pandémie du covid 19, à un Fonds fédéral dédié au climat et à l’énergie. La décision provoquait un trou de 60 milliards d’euros dans le budget fédéral et obligeait la coalition tricolore à revoir sa copie dans le domaine où les différends entre ses composantes étaient les plus forts, la rigueur budgétaire et le respect du « frein constitutionnel à l’endettement » faisant partie des chevaux de bataille du FDP – qui n’avait pas réclamé pour rien la direction du ministère des Finances, Christian Lindner succédant ainsi en 2021 à Olaf Scholz dont c’était le ressort dans la grande coalition précédente.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres au début du mois de novembre 2024, c’est le « papier de politique économique »[5] dans lequel Christian Lindner réclame de ses… partenaires « un changement de politique économique pour favoriser la croissance et l’équité entre les générations », demandant, entre autres choses, de reporter à plus tard les objectifs poursuivis dans le domaine de la protection du climat et de limiter les dépenses sociales. Ce faisant, il se mettait en contradiction avec l’accord de la coalition tricolore sur la croissance du mois de juillet précédent. Ce ne pouvait être perçu par le SPD et les Verts que comme une « provocation »[6] alors que siégeait le comité de suivi de la coalition gouvernementale. Des participants à ce comité de suivi ont dit ultérieurement que la rupture aurait pu être évitée. Peut-être ? Qui d’Olaf Scholz ou de Christian Lindner a voulu délibérément provoquer cette rupture n’a pas été entièrement clarifié. C. Lindner ne pouvait, en tous cas, ignorer que son « papier » allait rappeler celui du Comte Lambsforff, alors également ministre fédéral des Finances, qui mit fin en novembre 1982 à la coalition sociale-libérale conduite par le chancelier Helmut Schmidt (SPD), renversé peu après par Helmut Kohl bénéficiant par le « vote de défiance constructif » déposé contre celui-ci, du soutien du FDP faisant désormais alliance avec les Chrétiens-démocrates[7].
Le 6 novembre, Olaf Scholz renvoie son ministre des Finances l’accusant le soir même à la télévision d’avoir « trahi sa confiance ». Les autres ministres libéraux quittent le gouvernement en signe de solidarité avec lui, sauf Volker Wissing, ministre des Transports et du Numérique qui quitte le FDP pour rester au gouvernement – désormais minoritaire SPD-Verts d’Olaf Scholz. Sous la pression chrétienne-démocrate, celui-ci annonce qu’il posera la question de confiance devant le Bundestag le 16 décembre en vue de provoquer des élections anticipées le 23 février 2025. D’ici là O. Scholz espère faire passer quelques lois peu controversées, mais le leader de l’opposition, Friedrich Merz, n’a pas l’intention de lui dérouler à cet effet le tapis rouge. Il a d’ailleurs obligé le chancelier à avancer de plusieurs semaines la date à laquelle poser la question de confiance au Bundestag, son rejet permettant ensuite au Président fédéral, la convocation d’élections anticipées[8].
Les effets de l’annonce d’élections anticipées sur le paysage politique en Allemagne
L’annonce d’élections anticipées a changé la donne et sensiblement modifié les pronostics pour les élections fédérales à venir et peut-être simplifié le jeu des coalitions possibles alors que l’émergence du nouveau parti de Sahra Wagenknecht, la BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht) aurait pu permettre à ce parti de jouer un rôle d’appoint. Les perspectives ont, en effet, changé pour la BSW, qui a connu une vigoureuse ascension depuis sa création en début d’année tant par ses résultats dans les Länder de l’Est que dans les pronostics pour les élections fédérales. La BSW était alors créditée d’intentions de vote largement supérieures au seuil de 5 % en dessous duquel un parti n’est pas représenté au Bundestag. Lors des élections régionales en Saxe et en Thuringe (le 1er septembre) et dans le Brandebourg (le 22 septembre 2024), la BSW était apparue comme un parti incontournable pour la formation de gouvernements régionaux. Elle avait obtenu 11,8 % des voix en Saxe, 15,8 % en Thuringe et 13,5 % dans Le Brandebourg. S. Wagenknecht souhaitait imprimer sa marque à la politique tant intérieure qu’extérieure de l’Allemagne, ce qui l’avait amenée à introduire des revendications de politique étrangère dans les négociations dans ces Länder alors que cela ne correspond pas à leur domaine de compétences.
Malgré les 32,8 % de l’AfD arrivée nettement en première position, CDU (23,6 %), BSW (15,8 %) et SPD (6,1 %) ont trouvé un terrain d’entente en Thuringe pour former un gouvernement de coalition sous la direction de Mario Voigt (CDU)[9]. De même dans le Brandebourg où SPD (30,9 %) et BSW (13,5 %)[10] disposent de 46 des 88 sièges au parlement de Potsdam. Ils devraient élire ensemble le ministre-président sortant Dietmar Woidke (SPD) à la tête du nouveau gouvernement régional. Dans les deux Länder, l’accord s’est fait après acceptation par la CDU et le SPD de préambules se référant à la charte des Nations Unies pour parvenir à une paix durable en Ukraine (sans recourir au stationnement de fusées de portée intermédiaires en Allemagne) tout en se situant dans la double tradition de l’intégration occidentale du pays et de sa Ostpolitik[11]. En Saxe par contre, la CDU de Dietmar Kretschmer qui négociait dans le cadre de rencontres exploratoires la formation d’une coalition associant la BSW à son parti et au SPD (coalition dite aux couleurs de la mûre, Brombeerkoalition) a renoncé au compromis réclamé par la BSW pour privilégier la formation d’un gouvernement minoritaire avec le SPD. Au centre du désaccord la façon de parvenir à la paix en Ukraine, la politique migratoire et la politique budgétaire[12]. Les résultats de ces élections régionales sont publiés en annexe de cet éditorial.
Au niveau fédéral, la BSW ne peut être assurée de dépasser les 5 % pour entrer au Bundestag, créditée qu’elle est, selon les sondages de fin novembre, de 4 % (Forsa) à nouvellement 8 % (INSA) des intentions de vote. La BSW perd de son aura d’un parti qui se veut, d’une part social et pacifiste, un domaine que cherche à reconquérir le SPD, et est d’autre part un parti populiste anti-immigration où elle est en concurrence ouverte avec l’AfD.
L’avenir parlementaire de Die Linke pourrait sembler déjà réglé, n’étant crédité que de 3 à 4 % des voix tout au long du mois de novembre 2024. Mais dans la législature précédente, bien que n’ayant décroché que 4,9 % des voix il avait obtenu un nombre de députés proportionnel à ce résultat (39 au total) parce qu’il avait en Allemagne de l’Est remporté trois mandats directs dans les circonscriptions électorales de Berlin-Lichtenberg, Treptow-Köpenick et Leipzig. Au titre de ce qu’on appelle en Allemagne Grundmandatsklausel, une disposition que le Bundestag avait supprimée lors de la réforme du mode de scrutin (cf. infra) et qui a été rétablie par le Tribunal fédéral constitutionnel à l’été 2024. Die Linke avait porté plainte tout comme la CSU bavaroise, parti régional dont le pourcentage de voix rapporté au niveau fédéral est seulement légèrement supérieur à 5 % alors que le parti remporte facilement un grand nombre de circonscriptions. Dietmar Bartsch, co-président du groupe parlementaire au Bundestag, Bodo Ramelow, ministre-président sortant de Thuringe, et Gregor Gysi, ancien président du parti, tous trois d’un âge honorable, comptent sur une opération de campagne électorale qu’ils désignent non sans humour « Projekt Silberlocke » (projet « sapin de Corée » certes mais aussi « cheveux grisonnants ») pour gagner à nouveau au moins trois mandats directs en 2025[13].
La situation n’est pas beaucoup plus favorable pour le FDP qui toutefois, après un passage à vide largement lié à la rupture de la coalition tricolore, relève la tête fin novembre, avoisinant les 5 % mais cela ne représente pas une garantie de survie pour lui. Il ne s’agit encore que d’indications de tendance. Ce tableau sur les intentions de vote des électeurs allemands dans la perspective des élections fédérales à venir fait apparaître par ailleurs la stabilisation d’un Bundestag à 5, au maximum 6 partis, la CDU/CSU arrivant largement en tête, devant l’AfD qui confirme sa position de 2e parti devant le SPD et les Verts, la BSW venant en fin de file comme le FDP. D’autres sondages sur le site Dawum[14] confirment, à quelques nuances près, ces tendances.
L’AfD est actuellement bien ancrée dans le paysage politique allemand. Mais les règles édictées par les autres partis qui seront représentés au Bundestag ne l’assurent pas d’avoir un rôle à jouer lors de la formation de coalitions quand bien même la présidente de son groupe parlementaire au Bundestag et vraisemblable directrice de campagne pour les élections de 2025, Alice Weidel, afficherait son souci d’en faire un parti de gouvernement.
Les règles d’incompatibilité entre partis
Tous les partis représentés au Bundestag, autres que l’AfD, sont au niveau fédéral d’accord pour ne pas accepter de former une coalition avec elle qui est perçue comme n’appartenant pas à ce qu’on appellerait en France l’« arc républicain » et jugée antidémocratique même si des accords peuvent avoir lieu au plan local et des compromissions au niveau d’un Land pourrir l’atmosphère comme ce fut le cas en Thuringe après les élections régionales d’octobre 2019[15]. À la veille des élections de l’automne 2024 en Saxe, Thuringe et Brandebourg, la CDU a réaffirmé par la voix de son président fédéral, Friedrich Merz, que toute coopération avec l’AfD était exclue (Unvereinbarkeitsbeschluss). Cette disposition votée en son temps par le congrès fédéral de la CDU vise également Die Linke[16], mais ne rencontre pas l’adhésion de toutes les fédérations régionales chrétiennes-démocrates. Ainsi le ministre-président du Schleswig-Holstein, Daniel Günther, estime que dans les Länder de l’Est la CDU devrait faire preuve de davantage de souplesse à son égard. À noter que la CDU ne s’est pas exprimée aussi clairement à propos de la BSW, ce qui a facilité la formation d’une coalition CDU-SPD-BSW en Thuringe sous la direction de M. Voigt (CDU).
Le SPD ostracise de la même façon l’AfD mais pas Die Linke, parti avec lequel il a gouverné dans différents Länder, comme Berlin de 2016 à 2023, il gouverne actuellement avec lui dans le Mecklembourg-Poméranie-occidentale et Brême. Dans le Brandebourg la coalition en cours de formation entre SPD et BSW prévoit de ne jamais voter avec l’opposition, sauf exception justifiée pour le BSW[17].
La réforme du droit électoral
Rappelons que le mode de scrutin allemand est une proportionnelle personnalisée à un seul tour qui met à la disposition des électeurs deux voix de valeur distincte : par la première l’électeur allemand vote pour un député dans sa circonscription, ce qui personnalise le scrutin par ailleurs plus anonyme de liste ; par la seconde il vote pour un parti, qui présente dans chaque Land des listes électorales. La répartition des mandats se fait uniquement en fonction des suffrages recueillis par les partis au titre de la seconde voix (d’où le rappel en période électorale que « c’est la deuxième voix qui compte »), la liste finale incluant les mandats obtenus directement dans les circonscriptions. Pour éviter un fractionnement excessif du système des partis a été introduite la clause des 5 %, barre en dessous de laquelle un parti n’est pas représenté au Bundestag, un parti devant avoir obtenu au moins 5 % des suffrages au niveau fédéral et non pas au niveau de chacun des Länder.
Une inévitable concurrence entre première et deuxième voix provient de ce qu’un parti peut remporter dans un Land plus de mandats directs que la deuxième voix ne lui en attribue au total, le risque étant d’autant plus grand d’une disparité entre les deux voix qu’une circonscription est gagnée, elle, à la majorité simple. La loi prévoyant qu’il y a 299 circonscriptions électorales fixait de ce fait jusqu’à maintenant le nombre habituel des députés à 598. Dans un souci d’équilibre et d’équité électorale (chaque voix doit avoir la même valeur et la même influence sur le résultat final) au nombre des mandats supplémentaires (Überhangmandate) engendrés par un plus grand nombre de mandats directs que de mandats attribués au titre de la 2e voix ont été ajoutés des mandats complémentaires d’équilibre (Ausgleichmandate). Cela a eu pour effet que d’un scrutin à l’autre le nombre total de députés que comptait le Bundestag a varié, passant ainsi de 598 en 1996 à 631 en 2013 puis à 736 en 2021. Cette année-là le nombre des mandats supplémentaires était en début de législature de 34 et celui des mandats complémentaires de 104[18].
La réforme électorale pour réduire le nombre des députés au Bundestag a été adoptée le 17 mars 2023 par 399 voix favorables venant du SPD, des Verts et du FDP ainsi que de 3 députés AfD et d’un sans étiquette. Les votes négatifs provenaient de la CDU/CSU, de l’AfD et de Die Linke auxquels se sont ajoutés deux voix du SPD et 3 sans étiquette. Elle va s’appliquer pour la première fois lors des élections anticipées de février 2025. Cette réforme fixe durablement le nombre légal de députés au Bundestag à 630 sans modifier le nombre de circonscriptions électorales qui reste donc de 299. L’essentiel de la réforme, controversée et qui n’est pas évidente pour tout le monde, consiste à supprimer les mandats supplémentaires et complémentaires. Cela a pour effet que pour le cas où un parti n’a droit qu’à un nombre de mandats inférieur à la somme totale de ses mandats directs dans un Land, un élu direct dans sa circonscription n’est plus assuré d’être représenté au Bundestag. Pour limiter cet effet pervers qui fait qu’un élu ne l’est plus, le nombre des députés par Land a été relevé de 598 à 630 en fonction du nombre de ses électeurs[19].
L’ensemble des nouvelles dispositions adoptées montre que le législateur allemand a insisté sur le respect du mode de scrutin à la proportionnelle et privilégié le respect du rapport de forces issu de la 2e voix au détriment du respect du vote dans les circonscriptions à la majorité simple. Pourtant le vote à la majorité simple dans les circonscriptions a récupéré de l’importance puisque le Tribunal fédéral constitutionnel a rétabli la disposition permettant à un parti ayant obtenu moins de 5 % des suffrages mais au moins trois mandats directs d’être représenté au Bundestag. Il y avait là une question d’opportunité tant il pouvait sembler à la CSU que les autres partis travaillaient à son évincement et à Die Linke, à sa disparition. La clause des 5 % était lors des débats sur l’équité électorale sur la sellette. Le sujet pourrait revenir sur le devant de la scène si davantage de partis qu’avant échouaient à être représentés au Bundestag, cette barre étant devenue trop difficile à prendre pour un nombre croissant de petites formations politiques. Gageons qu’avec la réforme électorale de 2023 l’Allemagne n’est pas déjà arrivée au bout de ses peines.
Cette réforme, toutefois, ne devrait pas avoir d’influence majeure sur les résultats des élections anticipées de février 2025 mais peut-être sur les conséquences de ces résultats. En effet, moins de partis sont représentés au Bundestag et c’est autant de gagné pour les autres partis pour lesquels la majorité des sièges pour faire élire le chancelier n’est plus à 50 % mais à 48 % voire 46 % et moins. Qu’en sera-t-il si le FDP et la BSW passent tous deux sous la barre des 5 % ? C’est presque 10 % des voix qui ne seront pas représentés au Bundestag et qui ne participeront pas à la formation d’un gouvernement de coalition, d’autant plus que 6 à 7 % des électeurs donneraient leur voix à des micro-partis n’ayant aucune chance d’entrer au Bundestag.
Quel champ des possibles ?
Au terme de ce rapide survol des évolutions du paysage politique allemand sur fond d’évolutions du cadre juridique et politique, il apparaît que les élections anticipées pourraient bien réduire le champ des possibles en Allemagne et limiter les choix de coalition en favorisant le retour à une grande coalition CDU/CSU-SPD conduite par la CDU. Après leur déconvenue dans le cadre la coalition « feu tricolore » les Verts pourraient-ils, si leur score devait le leur permettre, s’associer aux Chrétiens-démocrates sans être passés par une période de carence et de régénération, comme en son temps le FDP quand celui-ci est passé de la CDU/CSU au SPD dans les années 1966-69 ? Une chose semble acquise : nous nous demandions s’il était possible de gouverner à trois, nous espérions que cette expérience serait intéressante à observer tout comme cela aurait été le cas pour une coalition aux couleurs de la Jamaïque, quatre ans plus tôt, qui aurait permis de vérifier ce que pouvaient faire ensemble CDU/CSU, Verts et Libéraux. Mais en 2017 le FDP avait rompu les pourparlers préférant « ne pas gouverner que mal gouverner ». Le FDP, qui, des décennies durant, a été la force d’appoint des deux autres grands partis dans un système qui n’en connaissait que trois (1953-1982 et quasiment jusqu’à la fin de l’ère Kohl en 1998), a beaucoup à perdre en réputation.
La tentative de gouverner à trois au niveau fédéral a dans le cas de la coalition « feu tricolore » tourné court, c’est indiscutablement un échec. L’expérience ne pourra pas être ignorée à l’avenir. Lors de la remise aux ministres libéraux de leur lettre de renvoi le 7 novembre dernier, le Président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, a constaté laconiquement qu’au début de la coalition ceux-ci s’étaient convaincus « qu’ils avaient eu raison de saisir la chance de façonner la politique de notre pays et de poser des jalons pour l’avenir […] pourtant, des circonstances peuvent conduire à la fin prématurée d’une coalition gouvernementale : c’est le cas lorsque les divergences de vues entre les partenaires deviennent si importantes qu’elles ne peuvent plus être surmontées. C’est apparemment le point auquel vous êtes parvenus hier. »
Jérôme Vaillant, prof. em. de civilisation allemande de l’Université de Lille. Rédacteur en chef de la revue « Allemagne d’aujourd’hui ». Délégué régional des l’AFDMA pour les Hauts-de-France.
[1]. Le « frein à l’endettement » (Schuldenbremse) a été introduit en 2009 dans la constitution allemande. Pour l’essentiel il oblige l’État fédéral comme les Länder de présenter des budgets équilibrés sans recours à l’emprunt. Concrètement, la loi prévoit depuis 2016 que le nouvel endettement de l’État ne doit pas dépasser 0,35 % du PIB, soit actuellement environ 9 milliards d’euros. Des exceptions sont cependant possibles pour ne pas empêcher les investissements nécessaires pour faire face à des situations exceptionnelles. L’État peut être tenté de contourner cette règle en créant des fonds hors budget. Voir https://www.bundesfinanzministerium.de/Web/DE/Themen/Oeffentliche_Finanzen/Stabilitaetspolitik/Fiskalregeln/Schuldenbremse/schuldenbremse.html et https://www.bpb.de/kurz-knapp/lexika/das-junge-politik-lexikon/321093/schuldenbremse/.
[2]. Voir sur la fonction de chancelier notre étude dans C. Demesmay, H. Stark (eds), Qui dirige l’Allemagne ?, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2005.
[3]. Cf. « Les élections fédérales du 26 septembre 2021 », un dossier dirigé par É. Dubslaff, P. Maurice, H. Stark et J. Vaillant in Allemagne d’aujourd’hui No 238 (octobre-décembre 2021).
[4]. https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2023/bvg23-101.html.
[5]. Voir https://www.tagesschau.de/inland/innenpolitik/lindner-positionspapier-100.html.
[6]. Voir https://www.tagesschau.de/inland/ampel-aus-100.html.
[7]. Pour mémoire : Le vote de défiance constructif (konstruktives Misstrauensvotum) contre H. Schmidt posé par H. Kohl le 1er octobre 1982 est le seul dans l’histoire de la RFA à avoir abouti, celui de 1972 contre Willy Brandt ayant été un échec pour les Chrétiens-démocrates. En Allemagne, un chancelier ne peut être renversé que si, aux termes de l’art 67. GG, le Bundestag élit son successeur, en d’autres termes si à une majorité parlementaire s’en substitue une autre, ce qui en cours de législature n’est possible que par un renversement d’alliances. Voir https://www.bundestag.de/services/glossar/glossar/K/konst_misstrau-245482.
[8]. La « question de confiance » (Vertrauensfrage) est réglée par l’art. 68 de la Loi fondamentale. https://www.bundesregierung.de/breg-de/aktuelles/was-ist-die-vertrauenfrage-2319328 Dans la pratique elle peut servir au chancelier à vérifier s’il dispose de la majorité parlementaire nécessaire à la poursuite de sa politique ou à provoquer des élections anticipées alors même qu’il disposerait encore de la majorité au Bundestag. Dans le premier cas, elle revient à mettre au pas un parti récalcitrant comme ce fut le cas en 2001 pour faire accepter par la coalition SPD-Verts conduite par G. Schröder la participation de la Bundeswehr à l’opération Enduring Freedom en Afghanistan. Dans l’autre cas de figure, le chancelier pose la question de confiance avec l’intention délibérée d’échouer pour amener le Président fédéral à convoquer des élections anticipées dans un délai de 21 jours. Ce fut le cas en octobre 1982 quand Helmut Kohl qui venait de renverser H. Schmidt et disposait donc de la majorité parlementaire nécessaire, a voulu provoquer des élections anticipées pour asseoir la légitimité de son gouvernement de coalition CDU/CSU-FDP. Ces élections eurent lieu le 6 mars 1983. https://de.wikipedia.org/wiki/Bundestagswahl_1983 Ce fut également le cas en 2005 quand G. Schröder posa la question de confiance, au lendemain de l’échec du SPD aux élections régionales de Rhénanie du Nord-Westphalie, pour provoquer des élections anticipées au mois de septembre. En l’occurrence G. Schröder a perdu les élections et ouvert la voie à 16 années de pouvoir à Angela Merkel, à la tête, pour commencer, d’une grande coalition CDU/CSU-SPD, sans G. Schröder. Cf. https://www.bpb.de/kurz-knapp/zahlen-und-fakten/bundestagswahlen/zuf-btw-2005/ La situation en 2024 est toutefois différente en ce sens qu’Olaf Scholz a effectivement perdu sa majorité et qu’en même temps il n’y a pas au Bundestag de majorité alternative susceptible de le renverser au terme d’un « vote de défiance constructif ».
[9]. À noter toutefois qu’il manque à cette coalition une voix pour disposer de la majorité absolue des voix au parlement d’Erfurt pour faire élire le ministre-président). Voir https://www.t-online.de/nachrichten/deutschland/innenpolitik/id_10053.
[10]. Voir https://wahlergebnisse.brandenburg.de/12/500/20240922/landtagswahl_land/ergebnisse.html.
[11]. Voir https://www.rbb24.de/politik/beitrag/2024/11/brandenburg-spd-bsw-einigung-koalitionsvertrag-woidke-crumbach.html.
[12]. Voir https://www.mdr.de/nachrichten/sachsen/politik/landtagswahl/sondierung-cdu-bsw-spd-gescheitert-wagenknecht-100.html.
[13]. Voir https://www.faz.net/aktuell/politik/bundestagswahl/wahl-die-linke-darf-dank-dreier-direktmandate-in-den-bundestag-17557074.html.
[14]. https://dawum.de/Bundestag/ consultation du 30 novembre 2024.
[15]. Rappel : dans un premier temps le candidat du FDP au poste de ministre-président de Thuringe, Thomas Kemmerich, a été élu, le 5 février 2020, au troisième tour de scrutin avec les voix de l’AfD, de la CDU et du FDP, il devançait alors Bodo Ramelow (Die Linke) d’une voix. Son élection provoqua la démission de la présidente d’alors de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer. T. Kemmerich démissionna quelques jours plus tard, le 8 février, sous la pression de la CDU au niveau fédéral et notamment de la chancelière A. Merkel.
[16]. https://www.sueddeutsche.de/politik/cdu-merz-unvereinbarkeitsbeschluss-linke-afd-1.6951231
[17]. Voir https://www.sueddeutsche.de/.
[18]. Voir https://www.bpb.de/mediathek/reihen/bundestagswahlen/339003/ueberhang-und-ausgleichsmandate-2021/.
[19]. Voir sur cette question particulière https://www.swr.de/swraktuell/bundestagswahl/wahlrecht-reform-bundestagswahl-2025-neuwahl-faq-folgen-bw-rlp-100.html.