Attaqué violemment par Donald Trump, Emmanuel Macron a reçu le soutien d’Angela Merkel lors de son discours devant le Parlement Européen. Elle a notamment soutenu le projet du président français de création d’une véritable armée européenne.
Atlantico: Pourquoi Angela Merkel fait-elle ce choix maintenant selon-vous ? Quel message la chancelière fait-elle passer en faisant le choix de rejoindre Emmanuel Macron contre Donald Trump ?
Jêrome Vaillant : Dès les premières déclarations du président américain nouvellement élu sur l’OTAN et l’Europe, Angela Merkel a compris qu’il n’était plus possible de faire confiance aux Etats-Unis comme allié traditionnel et qu’il allait falloir à l’Europe penser autrement sa défense. Mais depuis ses premières déclarations en ce sens, elle n’avait pas fait de proposition concrète. Elle avait même fait attendre sa réponse aux propositions d’Emmanuel sur l’Europe, qui avait mis la défense au cœur de son projet. La France et l’Allemagne se mettaient quand même d’accord sur des projets d’armement communs pour construire ensemble un nouvel avion et un nouveau char. La déclaration commune qui complètera le Traité de l’Elysée de 1963 comprendra des éléments substantiels en matière de coopération militaire et de défense. La nouvelle secrétaire générale de la CDU et candidate à la succession d’Angela Merkel à la présidence du parti, Annegret Karren-Krampbauer, a dans un entretien avec t-online.de déclaré le 12 novembre qu’il fallait avancer dans le domaine d’une politique étrangère et de sécurité européenne commune, et qu’ « une armée européenne faisait sens », et qu’il faudrait, pour ce faire, revenir sur les droits réservés du parlement allemand en la matière, une proposition qui viserait à faciliter, comme le souhaite la Franc e, la mise à disposition d’éléments de l’Armée fédérale dans des opérations européennes communes. Tout cela fait penser que la prise de position d’Angela Merkel devant le Parlement européen n’est pas une simple réaction épidermique aux tweets de Donald Trump contre l’idée défendue par Emmanuel Macron d’une armée européenne mais l’aboutissement d’une réflexion longuement murie.
Mais somme souvent, la chancelière reste malgré tout prudente dans ses formulations. Elle a déclaré qu’ « il fallait travailler à une vision qui permette un jour de créer une véritable armée européenne ». Pour justifier sa prise de position elle a mis en avant la raison énoncée précédemment, à savoir que « l’Europe ne pouvait plus compter sur d’autres comme avant » et rappelé cette vérité difficilement contestable que « c’est seulement unie que l’Europe est suffisamment forte pour se faire entendre sur la scène globale. » C’est un choix délibéré de la chancelière d’apporter son soutien à l’idée lancée par le président français d’une armée européenne.
Cyrille Bret: Le tempo est essentiel. Angela Merkel a choisi de faire sa déclaration au moment même où le Vieux Continent se souvient de ses millions de morts causés par la Première Guerre mondiale où l’Europe ses déchirée. Une armée européenne est aujourd’hui la seule façon d’éviter une nouvelle guerre sur notre continent. Le moment est également essentiel pour le monde. Les opinions publiques viennent de voir les Européens unis sous l’arc de triomphe alors que les deux anciens rivaux de la guerre froide ont fait « bande à part ». Par cette déclarations la chancelière rappelle que la priorité de l’Allemagne est l’intégration dans l’Europe. Enfin le moment est déterminant pour la vie politique européenne. Dans la perspective des élections européennes de mai 2019, les partisans d’une solidarité continentale toujours plus forte comme Macron et Merkel sont à la peine. Les souverainistes polonais italiens français hongrois allemands finlandais etc tiennent le haut du pavé. A l’heure des égoïsmes nationaux éthiques ou économiques il est temps de rappeler la grandeur de l’idée d’Europe. L’armée européenne est un des ciments futurs de cette Union plus poussée.
Avec Angela Merkel et Emmanuel Macron unis sur ce sujet, Donald Trump parvient-il sans le vouloir à créer une union en Europe ?
Jêrome Vaillant: Depuis l’accession au pouvoir de D. Trump et ses remises en cause maladroites des fondements de l’Alliance atlantique, on pouvait espérer un rapprochement franco-allemand en la matière, qui n’avait jusque là jamais été possible. Pour mémoire, les composantes militaires du Traité de l’Elysée étaient restées longtemps lettres mortes parce que subsistait entre la France et l’Allemagne une contradiction fondamentale entre le désir français de se soustraire à la domination américaine et la conviction allemande qu’il n’y avait pas de défense sérieuse de l4Europe et ce faisant de l’Allemagne en dehors de l’OTAN. Cette contradiction ne va pas disparaître du jour au lendemain, mais elle pourrait être en passe d’être progressivement diluée par la nécessité de contrecarrer les positions de D. Trump.
Cyrille Bret: Créer une armée européenne aujourd’hui n’est pas plus impossible que de réconcilier Français et Allemands en 1945. L’armée européenne a même été envisagée des 1950 et repoussée … par les Français.
Aujourd’hui la création d’une armée et le développement d’une politique de sécurité et de défense commune et efficace bénéficie de plusieurs « fenêtres d’opportunité ». Premièrement la remontée de la puissance militaire russe. Deuxièmement la croissance des budgets militaire dans des États clés comme la Pologne, l’Allemagne, la France ou encore la Grèce. Troisièmement si l’OTAN reste l’assurance vie de nombreux européens, les États-Unis de Trump semblent moins fiables et plus éloignés. Une armée européenne serait un complémentaire nécessaire à l’OTAN pour remédier à des crises qui ne concernent pas les américains.
Au vu de l’actuelle faiblesse de la chancelière aussi bien en Allemagne que d’un point de vue européen, peut-il en sortir quelque chose selon vous ?
Jêrome Vaillant: Evidemment, ce n’est pas demain la veille. La chancelière doit compter avec de fortes résistances au sein de son propre parti : en son temps les « gaullistes allemands » n’ont pas pu s’imposer contre les atlantistes. C’est pour cela que la chancelière se contente pour l’instant de lancer une réflexion. Angela Merkel, quoi qu’en ait ses détracteurs et les souverainistes de tout crin, pourrait mettre sa fin de mandat à profit pour faire progresser, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, l’idée d’une défense et d’une armée européennes. Certes, ce ne sont pas les obstacles qui manqueront de la part des Etats européens qui préfèreront, comme la Pologne et la Belgique, équiper leur armée de l’air d’avions américains plutôt que d’avions issus des productions française ou européenne. Et puis subsiste le souvenir de l’échec en 1954 de la Communauté européenne de défense qui avait l’insigne défaut de prévoir la mise en place d’une armée européenne sans politique européenne de défense. Avec une imagination créative qui surmonte les erreurs du passé sous la pression de la contrainte du présent, la réflexion engagée par la France et l’Allemagne peut accoucher d’idées et de projets nouveaux. Qu’Annegret Kramp-Karrenbauer, en campagne pour être élue à la présidence de la CDU, laisse entendre qu’il faudra pour avancer réduire les droits qui reviennent au parlement allemand pour décider des missions de la Bundeswehr est déjà une petite révolution.
Cyrille Bret: La chancelière Merkel est assurément affaiblie aujourd’hui. L’usure du pouvoir après quatre mandatures, les défections dans son parti CDU-CSU, les défaites aux élections régionales en Bavière et en Hesse: tout cela a conduit la chancelière a annoncé son retrait à la fin de la présente mandature.
Plutôt qu’une manœuvre, cette déclaration constitue plutôt une déclaration de principe et une piètre d’attente. Née derrière le rideau de fer, Angela Merkel sait que l’Europe peut se déchirer au prix de millions de mort. Constituer une armée cède s’unir au point de dire à ses alliés qu’on est prêt à mourir pour eux.