Par Jérôme Vaillant
L’élection de Annegret Kramp-Karrenbauer à la présidence de la CDU devrait donner un dernier nouveau souffle à Angela Merkel. Après une sorte de primaire au cours de laquelle ils se sont présentés devant les organisations internes du parti (telles que les Jeunes chrétiens-démocrates et les associations des femmes et du Mittelstand), ainsi que devant le public intéressé, à l’occasion de six conférences publiques régionales, les trois candidats en lice à la tête de la CDU ont été départagés, vendredi 7 décembre, à l’issue de deux tours de scrutin par le Congrès du parti chrétien-démocrate réuni à Hambourg.
Annegret Kramp-Karrenbauer se présentait en sa qualité de secrétaire générale du parti, appelée à cette fonction il y a seulement quelques mois par la chancelière. Son principal adversaire, Friedrich Merz, faisait allure de revenant, ayant quitté la vie politique en 2009 suite à des querelles internes. Il était toutefois devenu le chargé de mission pour le Brexit du gouvernement du Land de Rhénanie-du-Nord–Westphalie. Merz avait le soutien de Wolfgang Schäuble, l’actuel président du Bundestag, tous deux ayant en commun d’avoir une revanche à prendre sur Angela Merkel qui leur avait damé le pion en 1999-2000.
Le troisième candidat, Jens Spahn, ministre fédéral de la Santé, n’avait eu de cesse, ces derniers mois, de se profiler en tant qu’opposant à la politique migratoire de la chancelière. Il passait, vu son âge (38 ans), pour avoir peu de chance de l’emporter et vouloir avant tout prendre date.
« AKK » n’est pas la copie conforme de Merkel
Le résultat du deuxième tour de scrutin est à la fois net et serré. Annegret Kramp-Karrenbauer l’emporte par 517 voix contre 482 voix à Friedrich Merz. 999 délégués ayant participé au vote, les pourcentages de voix sont faciles à calculer.
Ils font apparaître un parti divisé entre les deux grandes tendances que représentent les deux candidats, malgré de nombreux points communs dans le détail de leur programme politique. Friedrich Merz aurait représenté un retour au conservatisme traditionnel qui caractérisait la CDU des années 1990. Malgré sa volonté d’apparaître plus moderne que sa réputation, il donnait, à la faveur de ses prises de position pendant la primaire, le sentiment de vouloir réorienter la CDU à droite. Merkel l’a ouverte vers un centre presque de gauche, comme l’a montré sa capacité à intégrer dans sa conception pragmatique de la politique les bonnes idées des Verts et des sociaux-démocrates.
Annegret Kramp-Karrenbauer, que beaucoup appelle « AKK » pour ne pas se tromper dans l’épellation de son nom, a dû surmonter le reproche d’être la copie conforme de la chancelière en tant que personne et en tant que politique. C’est ignorer sa volonté d’autonomie de pensée et faire peu de cas de sa longue expérience politique en Sarre comme ministre de l’Intérieur, ministre de la Famille et ministre des Affaires sociales. En tant que ministre-présidente de Sarre, elle n’a pas hésité, en 2012, à mettre un terme à une coalition dite « jamaïcaine » avec les libéraux et les Verts pour s’entendre ensuite avec le SPD et former avec lui une grande coalition. Ce qui a parlé en faveur d’« AKK », c’est aussi sa capacité à dialoguer et à réunir quand Friedrich Merz divisait davantage.
Après son échec, celui-ci devrait retourner dans le privé plutôt que de chercher à jouer un nouveau rôle politique. Où le pourrait-il, d’ailleurs, après une aussi longue absence sur la scène politique ? Pour lui, c’était président, puis chancelier… ou rien.
La chancelière ira au bout de son mandat
Assurément, l’élection d’Annegret Kramp-Karrenbauer est une victoire pour Angela Merkel, qui aurait sans doute eu beaucoup de mal à supporter un président nommé Merz, qui n’aurait eu de cesse de vouloir lui succéder à la chancellerie.
Le calcul de la chancelière semble aboutir au résultat escompté. Les revers électoraux de la CSU en Bavière, puis de la CDU en Hesse, au mois d’octobre dernier, l’avait convaincue qu’elle ne pouvait échapper à la pression de ses adversaires qu’en cessant de briguer un nouveau mandat de présidente pour mieux rebondir comme chancelière et aller jusqu’au bout de son mandat.
Annegret Kramp-Karrenbauer devrait le lui permettre ou, pour le moins, lui permettre de choisir elle-même le moment le plus opportun de se retirer. 57 % des personnes interrogées à la veille du Congrès de Hambourg se prononçaient pour qu’Angela Merkel aille jusqu’au bout de son mandat contre 39 % qui estimaient qu’elle devrait se retirer avant la fin de son mandat (sondage dimap/ARD). Les changements annoncés à la tête de la CDU profitent d’ailleurs à l’ensemble de la CDU/CSU, créditée désormais de 30 % des intentions de vote – soit 4 points de plus qu’une semaine auparavant.
Pas d’aggiornamento en vue
Dans son dernier discours en tant que présidente – qui lui a valu une standing ovation de près de 9 minutes à Hambourg – la chancelière a défendu son bilan, en particulier quand il a été contesté au sein de son propre parti : qu’il s’agisse de sa politique migratoire à partir de 2015 ou de la suppression du service militaire obligatoire ou encore de l’abandon du nucléaire comme ressource énergétique.
Elle s’est particulièrement félicitée du soutien apporté en son temps par son parti, alors dans l’opposition, aux réformes « Harz IV » du marché de l’emploi engagées par le SPD de Gerhard Schröder, de l’introduction d’un salaire minimum qu’elle a revendiquée comme un « grand moment dans l’histoire de la CDU » (qui y était pourtant passablement réfractaire) et de la gestion par le gouvernement fédéral des déficits publics.
Annegret Kramp-Karrenbauer pourra infléchir les lignes posées par Angela Merkel, elle ne les changera pas fondamentalement. Il n’y aura pas d’aggiornamento.
Angela Merkel retrouve une liberté d’action
Que signifie cette élection pour les autres partis ? Aujourd’hui comme hier, le SPD continuera de peiner à se distinguer par rapport à la CDU. Un président Merz lui aurait offert plus de chances d’opposer la démocratie sociale à son néo-libéralisme.
Les populistes de droite réunis au sein de l’AfD ne sont que partiellement privés de la « tête de turc » que la chancelière continuera de représenter pou eux. Mais ils auront, malgré tout, à compter avec une autre dirigeante chrétienne-démocrate, à la fois différente et semblable.
Quant aux Verts, il est intéressant de noter que selon le sondage qui donne 4 points de plus à la CDU-CSU, ils en perdent 3, même s’ils continuent de se situer à un niveau qui reste malgré tout enviable de 20 % des intentions de vote.
En retrouvant une certaine liberté d’action, Angela Merkel devrait quant à elle être disponible pour s’occuper davantage des affaires européennes et les faire progresser en tandem avec la France si, du moins, celle-ci, parvient à son tour à sortir de la crise pour saisir l’occasion.