Pourquoi pas un porte-avions franco-européen?
POURQUOI PAS UN PORTE-AVIONS FRANCO-EUROPEEN ?
Le porte-avions offre une capacité militaire majeure à une marine. Son déploiement, lors d’une crise, représente un signal politique fort. L’apparition d’un porte-avions aux couleurs de l’Europe serait certes « hautement symbolique », mais le symbole ne suffit pas dans les questions de défense.
Par Cyrille Schott, préfet (h.) de région, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), membre du bureau d’EuroDéfense France, Délégué régional de l’AFDMA pour l’Alsace.
« Le Charles-de-Gaulle aura besoin d’un successeur », souligna Florence Parly, la ministre des Armées, au salon Euronaval en octobre 2018, en lançant une phase d’études pour la construction d’un nouveau porte-avions, qui pourrait entrer en service vers 2030-2035. Ce successeur sera-t-il isolé ? Ou en couple, comme le furent naguère le Clemenceau et le Foch ? Cette solution serait militairement préférable, permettant à la France de toujours disposer d’un bâtiment opérationnel, tandis que l’autre serait en période d’entretien ou en refonte. Elle aurait toutefois un coût élevé, celui d’un seul navire étant estimé à 4,5 milliards d’euros.
Le porte-avions offre une capacité militaire majeure à une marine. Son déploiement, lors d’une crise, représente un signal politique fort. Dans
sa mission Clemenceau, entre mars et juillet derniers, le groupe aéronaval, constitué par le Charles de Gaulle avec ses bâtiments d’accompagnement, a participé à l’opération Chammal contre Daech au Moyen-Orient, puis a rejoint la région indo-pacifique pour une série
d’exercices avec les marines de l’Inde, des États-Unis, de l’Australie, de la Malaisie et du Japon, et celle de l’Egypte au retour. Combat contre le
terrorisme et coopération avec nos alliés ont ainsi conjugué guerre et diplomatie.
Dans sa réponse aux propositions d’Emmanuel Macron en vue d’une réforme de l’Union européenne, Annegret Kramp-Karrenbauer, alors
successeure d’Angela Merkel à la présidence de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne et désormais ministre fédérale de la Défense, a
écrit en mars de cette année :
« Dès à présent, l’Allemagne et la France travaillent ensemble au projet d’un futur avion de combat européen… La prochaine étape pourrait
consister en un projet hautement symbolique, la construction d’un porteavions européen commun, pour souligner le rôle de l’Union européenne
dans le monde en tant que puissance garante de sécurité et de paix. »
Macron et Merkel ont plusieurs fois exprimé l’ambition d’une « armée européenne. » Si l’Europe veut tenir sa place dans le concert mondial,
tel qu’il se dessine avec des puissances-continent comme les États-Unis, la Chine, la Russie ou l’Inde, elle doit se doter d’une capacité militaire
d’action. Des progrès indéniables sont intervenus depuis 2017, notamment grâce à la coopération structurée permanente, le fonds
européen de défense, l’initiative européenne d’intervention, mais l’Union européenne reste loin de disposer d’une véritable armée.
UN PORTE-AVIONS AUX COULEURS DE L’EUROPE ?
L’apparition d’un porte-avions aux couleurs de l’Europe serait certes « hautement symbolique », comme l’écrit la responsable allemande, et
ce navire pourrait montrer le drapeau de l’Union sur les mers du globe et aux approches des continents. Cependant, le symbole ne suffit pas
dans les questions de défense. Un porte-avions est un navire de guerre et, s’il peut remplir des missions diplomatiques de présence, il faut, pour
que celles-ci soient crédibles, qu’il soit aussi capable d’intervenir militairement, qu’il sache effectivement combattre. À cet égard, la réalisation d’un porte-avions peut paraître prématurée à ce stade de l’intégration européenne. Florence Parly a, en effet répondu, sur les ondes de RMC en mai dernier qu’on « n’en est pas encore tout à fait là », en évoquant les conditions d’emploi d’un tel navire. Il ne suffit pas de construire un porte-avions, encore faut-il être capable de l’employer, certes pour des missions de présence, mais également, si besoin, pour un engagement armé dans une crise ou un conflit. Or, l’on n’en est pas encore là. La brigade franco-allemande est déployée au Sahel, mais seules ses composantes françaises se battent contre les djihadistes, la partie allemande intervenant dans le cadre d’un mandat de l’Union européenne pour la formation de l’armée malienne ou dans celui de la force onusienne Minusma.
CONJUGUER LES BESOINS DE LA FRANCE ET CEUX DE L’EUROPE ?
Faut-il alors abandonner l’idée d’un porte-avions européen ? Ne pourrait-on conjuguer les besoins de la France et ceux de l’Europe ? Un
second porte-avions serait utile à la marine française. Un porte-avions européen signifierait une étape considérable dans l’affirmation militaire
de l’Union, qui est en chemin. Pourquoi la France ne partagerait-elle pas un porte-avions ? Pourquoi ne pas engager la construction de deux
porte-avions, le premier français, le second franco-européen. Celui-ci naviguerait sous le pavillon national, celui-là naviguerait généralement
sous le pavillon européen et arborerait le pavillon français, quand l’autre serait indisponible. Le premier serait financé uniquement par la France,
le second le serait à parité par la France et l’Union européenne.
Budgétairement, l’opération serait rentable : la France disposerait toujours d’un porte-avions opérationnel pour un coût probablement
inférieur à celui d’un bâtiment et demi, une série de deux s’avérant à l’unité moins couteuse que la construction d’un seul ; l’Union
européenne acquérait, de même, un porte-avions pour un budget inférieur sans doute à la moitié du coût d’un navire isolé.
METTRE EN OEUVRE UN GROUPE AERIEN DE QUALITE
Des questions sensibles seraient à résoudre, l’une des premières concernant le groupe aérien. En effet, la puissance d’un porte-avions
réside dans sa capacité à mettre en oeuvre un groupe aérien de qualité. La France est le seul pays européen à utiliser, comme les Etats-Unis,
des catapultes. La Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Italie déploient des porte-aéronefs avec des avions à décollage court ou vertical, aux
capacités moindres. Le groupe aérien, qui réunirait des appareils capables d’apponter sur les nouveaux porte-avions, serait logiquement composé du futur avion de combat européen, dont le projet a été lancé par la France et l’Allemagne, rejointes par l’Espagne. Des évolutions devraient intervenir chez nos amis, soit, comme en Allemagne, pour reconstituer une aviation embarquée, soit, comme en Italie, pour choisir un avion européen. Des décisions significatives seraient nécessaires, mais ces pays, voire d’autres, pourraient vouloir développer une
composante aéronavale moderne, dès lors que le coût budgétaire, né de la coopération européenne, serait raisonnable. Rien, techniquement,
n’interdirait de créer des flottilles européennes d’avions pouvant apponter sur ces porte-avions.
Un autre sujet délicat est celui de l’équipage. Celui-ci rend opérationnel le porte-avions, qui accueille des flottilles d’avions et l’état-major du
groupe aéronaval. Il doit être en phase avec son navire. Quand le bâtiment franco-européen naviguerait sous pavillon français, son
équipage devrait, au besoin, pouvoir être engagé au combat, y compris avec ses membres non français.
DEVELOPPER LA PARTICIPATION, ETENDRE LE PERIMETRE DE DISCUSSION
S’agissant du groupe aéronaval, d’ores et déjà l’habitude est prise que des navires européens intègrent celui du Charles-de-Gaulle, y compris
dans des missions d’engagement armé. Ainsi, chaque fois que ce bâtiment a été déployé pour frapper Daech, il a été accompagné par de
tels navires (allemand, belge, britannique et italien). L’existence d’un porte-avions européen développerait la participation des marines
européennes, en contribuant à leur excellence.
L’accord devrait intervenir également sur le système de propulsion, nucléaire ou non, et sur le partage des tâches entre les industries
navales, la France étant la seule, à ce jour, à disposer des compétences pour construire des porte-avions dotés de catapultes. D’autres sujets
seraient à traiter, comme le port d’attache, la formation et l’entrainement, la chaîne de commandement… La résolution de certaines questions serait indéniablement délicate, mais possible en présence d’une vraie volonté politique. Cette volonté témoignerait d’un pas nouveau et significatif de l’Europe pour sa défense et de son rayonnement dans le monde.
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NOTE DE L’AUTEUR
Cet article est le fruit des réflexions d’un groupe de travail constitué au sein d’EuroDéfense France et composé de l’ingénieur général de 1re classe de l’armement (2S) Patrick Bellouard, président d’EuroDéfense France, du préfet (h.) de région Cyrille Schott, animateur du groupe et ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, du vice-amiral d’escadre (2S) Patrick Hébrard, ancien commandant du porte-avions Clemenceau, du viceamiral (2S) Gilles Combarieu, de l’ancien ambassadeur Jean-Loup Kuhn Delforge, du général (2S) Patrice Mompeyssin, secrétaire général d’EuroDéfense France et du groupe de travail.
CYRILLE SCHOTT
Article paru dans « La Tribune » et « L’opinion » du 25 .10.2019