L’Europe, ni un Etat, ni un empire?
Par Cyrille Schott.
L’Europe n’est pas un empire. Le dirigeant d’un pays enfermé naguère derrière le rideau de fer a osé la comparer à
l’empire soviétique. C’est faux ! L’Union européenne n’enferme pas les peuples. Ceux qui veulent la quitter le
peuvent. Si le Royaume Uni peine tant à le faire, ce n’est point parce que l’Europe le lui interdit, c’est parce que ce
retrait a un terrible coût, celui de la perte des fruits abondants que porte la solidarité des nations au sein de l’Union.
L’Europe a la taille d’un empire, mais n’est pas un empire. C’est la première fois dans l’histoire qu’un tel ensemble
est constitué pacifiquement, dans la liberté et avec l’assentiment des peuples, même si leurs dirigeants ont dû
parfois ruser pour poursuivre le cheminement. Les empires étaient jadis forgés par le glaive d’un conquérant. Ce
pouvait être un homme, un Alexandre, un César, un Charlemagne, un Napoléon, ou plus récemment un Staline ou
un Hitler. Ce pouvait également être l’un de nos pays d’Europe, qui à partir du 16ème siècle ont créé par la guerre
les empires coloniaux. Des empires ont, il est vrai, été bâtis plus pacifiquement, par le mariage des princes, ainsi
par les Habsbourg, dont l’une des devises était : Bella gerant alii, tu felix Austria nube – Les autres font la guerre,
toi, heureuse Autriche, tu te maries !
Notre Europe repose sur la libre volonté des peuples
Ces empires étaient maintenus par un mélange, plus ou moins équilibré, de contrainte et de sagesse des dirigeants,
mais ils n’étaient pas fondés sur l’accord des peuples. Ceux-ci faisaient au mieux preuve de résignation, tant qu’ils
ne pensaient pas pouvoir échapper à leur prison.
Notre Europe repose sur la libre volonté des peuples, ce qui est un miracle de la paix, d’autant plus remarquable
que ceux-ci habitent de vieux pays, enracinés dans l’histoire et qui se sont tant combattus. Il y a certes une fragilité
dans cet assentiment des peuples, qui doit perdurer pour que se prolonge le miracle. Songeons toutefois que les
empires fondés sur la violence d’un conquérant ou le mariage des souverains se sont effondrés. Cette fragilité, que
constitue l’assentiment des peuples, représente paradoxalement la force de l’Union européenne.
L’Europe n’est pas un État. Pas un État unitaire, comme l’est la France, mais pas plus un État fédéral, comme l’est
l’Allemagne. Elle est formée d’État indépendants, qui ont mis en commun une part de leur souveraineté, pour être
plus forts.
Elle possède des caractères fédéraux, par exemple pour la conduite de son commerce extérieur, où elle est ainsi en
mesure de discuter en tant que première économie mondiale avec les États-Unis ou la Chine. Les pays de la zone
euro ont créé avec la monnaie unique et la banque centrale européenne un instrument et une institution de nature
fédérale et disposent, ce qu’aucune de nos nations n’aurait pu envisager isolément, de la deuxième monnaie de
réserve mondiale. Élu directement par les citoyens de l’Union, le Parlement, dont le rôle ne cesse de s’affirmer,
met aussi en relief le côté fédéral.
Une organisation mêlée de fédéralisme et d’alliance des Nations.
D’autres caractères de l’Union sont de nature intergouvernementale. Là, l’accord des État est nécessaire et parfois,
comme pour la fiscalité, il doit être unanime. Dans les champs de la sécurité ou de la défense, la souveraineté des
États reste la norme, ce qui, au demeurant ne les a pas empêchés d’accomplir des progrès pour la sécurité commune
ou des avancées, certes encore insuffisantes, pour la défense
La construction européenne correspond à une organisation mêlée de fédéralisme et d’alliance des nations, elle aussi
unique dans l’histoire. Sa marche, jalonnée de crises et de compromis, n’est pas achevée. Elle doit continuer vers
plus d’unité. Ou alors, elle avortera. Ce qui est possible. Dans le passé, l’Europe a vécu constamment la tension
entre un mouvement allant vers l’unité d’un empire et un autre allant vers l’individualité des royaumes. L’adage du
roi de France Philippe le Bel (1285-1314) était : Le roi est empereur en son royaume. Au XIXe siècle, l’Europe
pouvait se permettre l’éclatement. Elle avait pris tant d’avance, dans les sciences, les techniques, l’organisation des
États, le feu des armées, qu’elle savait dominer le monde, malgré sa fragmentation. Désormais, le monde présente
face à l’Europe l’énergie de tant d’États-continents, comme les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, que la division
et le refus de la puissance signifieront pour ses nations la soumission ou, du moins, la perte de la maîtrise de leur
destin. C’est pourquoi, la foi est permise dans la poursuite de ce miracle de la paix, si rayonnant et attractif pour
tous ceux qui veulent des quatre coins de la terre le rejoindre, et qui s’appelle l’Europe !
En conclusion, il est permis de se demander si l’Europe ne représente pas plus qu’un empire, car elle est fondée sur
la volonté des peuples qui la composent, et pas plus qu’un État, car elle unit des État qui ainsi peuvent surmonter
leur faiblesse.
CYRILLE SCHOTT
Préfet (h) de région, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), membre du Bureau d’Euro Défense France. Délégué régional de l’AFDMA pour l’Alsace.
Article paru en novembre 2019 dans « la Tribune » et « l’Opinion ».