L’AfD : un parti d’extrême droite entre recherche de respectabilité et radicalisation
Allemagne. L’AfD : un parti d’extrême droite entre recherche de respectabilité et radicalisation.
Publié dans diploweb.com le 9 février 2020
Par Jérôme VAILLANT
Professeur émérite en civilisation allemande de l’Université de Lille, directeur de la revue « Allemagne d’aujourd’hui », éd. Septentrion
Voici une remarquable mise en perspective de l’extrême droite en Allemagne, pays le plus peuplé de l’Union européenne. J. Vaillant présente successivement : L’extrême droite : un phénomène récurrent mais longtemps contenu ; La fondation de l’AfD comme parti eurosceptique et son évolution vers un parti islamophobe. Il termine par une présentation du temps présent et à venir : Et maintenant ? Illustré de plusieurs documents, dont deux tableaux chiffrés.
Les succès électoraux du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) lors des élections régionales de l’automne 2019 en Saxe, Brandebourg et Thuringe en Allemagne de l’est [1] ont braqué les projecteurs sur la situation intérieure de l’Allemagne unifiée trente ans après la chute du Mur de Berlin (1989). Ces succès intervenaient alors que l’Allemagne connaissait une recrudescence d’attentats d’extrême droite, à vrai dire pas seulement en Allemagne de l’est mais particulièrement en Allemagne de l’est. Les manifestations de Chemnitz (Saxe) autour de la mort d’un Allemand, victime de migrants, à l’automne 2018, avaient rassemblé des militants des mouvements nationalistes, hostiles à l’islam Pegida, Pro Chemnitz auxquels s’était jointe l’AfD. L’assassinat le 2 juin 2019 du président administratif du district de Kassel (en Hesse à l’ouest), Walter Lübcke, et la tentative d’un jeune néonazi de forcer la porte de la synagogue de Halle (en Saxe-Anhalt à l’est), le 9 octobre 2019, dans l’intention avouée de tuer autant de juifs que possible ont été des signaux d’alarme pour l’opinion allemande et ont alerté l’opinion publique internationale toujours sensible à la réapparition de phénomènes néonazis en Allemagne. Ces événements posent la question de savoir dans quelle mesure l’émergence politique d’un parti d’extrême droite tel que l’AfD favorise cette recrudescence d’un terrorisme auquel on ne voulait pas croire ? Les succès électoraux de l’AfD ont, en tous cas, confirmé que l’extrême droite politique en Allemagne était, pour la première fois depuis 1945, parvenue à s’établir durablement dans le pays. L’AfD est aujourd’hui représentée dans tous les parlements régionaux d’Allemagne et a obtenu 12,6% des voix lors des élections fédérales du 17 septembre 2017. Jusqu’alors on admettait que la Seconde Guerre mondiale, en raison de la barbarie nazie et en particulier de la Shoah, avait largement immunisé les Allemands contre les tentations néonazies et d’extrême droite qui n’était, en effet, jamais parvenue jusqu’alors à s’établir dans le système fédéral des partis, même si un pourcentage non négligeable de la population restait sensible à ses arguments, de 10 à 20% selon les études. [2] La rupture de ce tabou permet aujourd’hui à ce potentiel de s’exprimer et de se structurer politiquement.
Cette mise en perspective de L’AfD s’articule en trois parties : L’extrême droite : un phénomène récurrent mais longtemps contenu (I) ; La fondation de l’AfD comme parti eurosceptique et son évolution vers un parti islamophobe (II) ; Et maintenant ? (III).
Jérôme Vaillant
I. L’extrême droite : un phénomène récurrent mais longtemps contenu
L’Allemagne de l’Ouest (1949-1990) a connu dans ses premières années des sursauts néo-nazis tandis que le régime de l’Allemagne de l’Est (1949-1990) affichait un antinazisme officiel hors de tout débat public qui aurait permis à ses citoyens d’en intégrer pleinement le bien fondé.
L’interdiction du Parti socialiste du Reich
Dès octobre 1949 s‘est constitué en République fédérale d’Allemagne (RFA), sous le nom de Parti socialiste du Reich (Sozialistische Reichspartei, SRP), un parti qui se plaçait ouvertement dans la tradition du NSDAP. Il a compté jusqu’à 40.000 membres qui pour l’essentiel étaient d’anciens membres du parti nazi. Il était surtout représenté dans le nord de l’Allemagne, à Brème où il a obtenu 7,7% des voix aux élections régionales d’octobre 1951 mais avant tout en Basse-Saxe où il atteint le score de 11% des voix lors des élections régionales de mai 1951. Saisi en 1951 par le gouvernement fédéral, le Tribunal fédéral constitutionnel déclare le SRP « contraire à la constitution » et prononce sa dissolution pour lui et toute organisation qui chercherait à lui succéder. [3] Le Deutsche Reichspartei (RP) qui cherche sans succès à le remplacer rejoint le Parti national-démocrate d’Allemagne (Nationaldemokratische Partei Deutschlands, NPD) lorsque celui-ci est fondé en 1964. [4]
Le NPD : de la « poussée irrésistible » à l’échec
Le NPD cherche à regrouper divers mouvements d’extrême droite et à mobiliser globalement l’électorat nationaliste se situant à droite de la droite ou déçu par la politique d’intégration occidentale poursuivie par le gouvernement de coalition chrétiens-démocrates/libéraux formé par le chancelier K. Adenauer. Aux premières élections fédérales qui suivent sa fondation, le NPD ne dépasse pas 2% des voix en 1965 et n’envoie donc pas de députés au Bundestag. Lors des élections régionales qui se succèdent il engrange pourtant une série de succès en Bavière et en Hesse en 1966, à Brème, en Basse-Saxe, en Rhénanie-Palatinat et au Schleswig-Holstein en 1967. Ses résultats varient entre 5,8% et 8,8%. Les 9,8% que le NPD engrange dans le Bade-Wurtemberg en avril 1968 évoquent une « poussée irrésistible » du parti et font naître la crainte qu’aux élections fédérales de septembre 1969 celui-ci passe la barre des 5% et fasse son entrée au Bundestag. La montée en puissance du NPD a beaucoup à voir avec la polarisation des extrêmes qu’engendre l’absence d’une réelle opposition au sein du parlement fédéral en raison de la mise en place en Allemagne de la première grande coalition CDU/CSU-SPD en décembre 1966. Par ailleurs, la RFA connait en 1965 sa première récession économique alors que le chancelier L. Erhard au pouvoir a la réputation d’avoir été l’artisan du miracle économique après la guerre et voit, par ailleurs, émerger une opposition extraparlementaire de gauche (Ausserparlamentarische Opposition, ApO) contre les Lois sur l’état d’urgence que seule une coalition droite-gauche au parlement serait en mesure d’adopter.
L’échec du NPD aux élections fédérales du 28 septembre 1969 – avec 4,3% il reste en dessous de la barre des 5% – stoppe sa progression et facilite la formation, à l’initiative de Willy Brandt (SPD), d’une « petite coalition » associant le FDP au SPD. La coalition sociale-libérale inaugure une ère nouvelle. Elle a la particularité de placer, en la personne de Willy Brandt, à la tête du gouvernement fédéral un ancien résistant au Troisième Reich : elle fait oublier les succès passés du NPD. Dès lors celui-ci reste très nettement en dessous de la barre des 5% lors de tous les scrutins régionaux qui suivent et ne dépasse pas 1% des voix lors des scrutins fédéraux jusqu’à l’unification (3 octobre 1990). Il ne joue aucun rôle lors des élections européennes. Le NPD ne réapparaît sur la scène parlementaire qu’en 2004 en Saxe (9,2%), puis en 2006 en Mecklembourg-Poméranie antérieure (7,3%), deux Länder de l’Est, dans lesquels il confirme sa remontée lors des élections régionales suivantes avant de quasiment disparaître au profit d’autres formations telles que l’AfD. [5] Lorsqu’en 2017 est statué pour la deuxième fois sur la demande d’interdiction du parti déposée par le gouvernement fédéral, le Tribunal fédéral constitutionnel estime que « l’idéologie défendue par le NPD est clairement anticonstitutionnelle » mais que le parti représente politiquement une quantité négligeable et ne constitue pas de ce fait un danger pour l’ordre constitutionnel de l’Allemagne. Entre les lignes le tribunal laisse entendre que l’interdire serait une façon de lui rendre de l’importance, il refuse donc de l’interdire. [6]
Parmi les partis d’extrême droite dont l’émergence puis le déclin n’est pas sans rappeler le sort réservé au NPD figure le parti qui s’est donné le nom de « Républicains » (Republikaner, en formule abrégée REP) [7]. Fondé en 1983 à Munich par des membres dissidents du parti chrétien-social bavarois (CSU) dont le plus en vue, Franz Schönhuber, un journaliste bien en cour, a retracé dans un livre son passé de membre de la Waffen-SS (Ich war dabei, 1981), le parti se pose en défenseur de la loi et de l’ordre, relativise les crimes nazis et refuse la poursuite par la CDU/CSU de la politique d’ouverture à l’Est et de reconnaissance de la République démocratique d’Allemagne (RDA) initiée par la coalition SPD-FDP. En 1986, il obtient 3% des voix aux élections bavaroises mais il n’y dépassera pas 4,9% aux élections suivantes de 1990. Son succès relatif à Berlin-Ouest en 1989 (7,5%) ne se confirme pas les années suivantes. Son score aux élections européennes de 1989 lui permet d’envoyer au parlement européen six députés. Ses 7,1% représentent un peu plus de 2 millions de voix, mais l’essai n’est pas transformé lors des élections suivantes. C’est en Bade-Wurtemberg qu’il remporte, après l’unification, ses meilleurs résultats : 10,9% en 1992 et 9,1% en 1996 avant de retomber en dessous de la barre des 5% en 2001 pour devenir en 2016, avec 0,3%, quantité négligeable. Les « Républicains », fortement centrés sur la personnalité de leur principal leader, décédé en 2005, sont restés un parti régional éphémère, mais c’est ce parti qui a conduit Franz Josef Strauss, ministre-président de Bavière de 1978 à 1988 et président de la CSU depuis 1961, à poser en axiome que les chrétiens-démocrates – CDU et CSU – devaient empêcher par tous les moyens un autre parti de s’établir à leur droite et devaient donc couvrir eux-mêmes tout le champ de la droite – quitte à en reprendre les thèmes et la diction. A ses yeux il appartenait à la CDU-CSU d’intégrer l’extrême droite et au SPD, l’extrême gauche. [8]
II. La fondation de l’AfD comme parti eurosceptique et son évolution vers un parti islamophobe
Au moment de sa fondation à Berlin en avril 2013 l’AfD se comprend, selon son principal fondateur, Bernd Lucke, comme un parti libéral-conservateur défendant l’économie sociale de marché mais hostile à l’euro. Il est depuis 1998 professeur de macroéconomie à l’Université de Hambourg. Longtemps membre de la CDU, il l’a quittée en 2011 parce qu’il s’opposait à la politique de sauvetage de l’euro poursuivie par la Banque centrale européenne et soutenue tant bien que mal par la chancelière Angela Merkel. Son euroscepticisme a les traits d’un souverainisme soucieux d’un renouveau national en Allemagne.
Dans la perspective des élections fédérales de l’automne 2013, B. Lucke lance le mouvement « Alternative électorale 2013 » avec des personnes telles que Alexander Gauland, Konrad Adam et Frauke Petry. Juriste de formation, Alexander Gauland a été membre de la CDU de 1973 à 2013, un parti qu’il a longtemps servi dans des positions importantes telles que chef de cabinet du maire de Francfort sur le Main, Walter Wallmann, puis comme chef de la chancellerie quand ce dernier est devenu ministre-président du Land de Hesse. Longtemps membre également de la CDU et rattaché à la même tendance conservatrice (Berliner Kreis) qu’A. Gauland, Konrad Adam était journaliste et avait appartenu aux rédactions de la Frankfurter Allgemeine Zeitung et de Die Welt. Née à Dresde en 1975, Frauke Petry représentait, outre l’élément féminin parmi les fondateurs, l’Allemagne de l’Est qu’elle avait toutefois quittée peu avant la chute du Mur. Chimiste de formation, elle a l’expérience d’une petite entreprise chimique à Leipzig qu’elle a fondée en 2007.
Aux élections fédérales de 2013, l’AfD manque de peu l’entrée au Bundestag, son score de 4,7% rappelle celui du NPD en 1969 (4,3%) et induit une réaction semblable des médias [9]. Le danger ne serait pas si grand – à ceci près pourtant qu’en 1969 ce résultat marquait un coup d’arrêt dans une progression de plusieurs années du NPD tandis qu’en 2013 l’AfD est encore un parti jeune qui peut s’enorgueillir d’obtenir du premier coup un résultat finalement honorable. Son score aux élections européennes de 2014 la place à 7,1% ce qui lui vaut sept députés à Strasbourg. Aux élections régionales de 2014, l’AfD entre dans les parlements régionaux de Thuringe (10,6%), de Brandebourg (12,2%) et de Saxe (où son résultat plus faible (9,7%) que dans les autres Länder de l’Est tient au score ailleurs inégalé de 4,9% du NPD. En 2015, l’AfD obtient 6,1% à Hambourg et 5,5% à Brème. Ces résultats peuvent incliner à penser que la poussée de l’AfD serait malgré tout « résistible », ils font surtout apparaître une différence géographique entre l’Est et l’Ouest même si l’on ne peut pas vraiment comparer les trois Länder de l’Est dont la population est respectivement de 2,1, 2,5 et 4 millions d’habitants sur des superficie allant de 16.000 à 30.000 km² aux deux grandes villes hanséatiques de l’Ouest, en particulier à Hambourg (1,8 million d’habitants) tandis que Brème compte moins de 0,6 million d’habitants.
Tout change avec l’afflux de réfugiés en Allemagne à partir de l’été 2015 et la politique d’accueil favorisée par la chancelière. C’est plus d’un million de migrants que l’Allemagne accueille en 2015/16. [10] L’AfD est alors en même temps le théâtre de bouleversements personnels qui vont, par opportunisme électoral, l’orienter toujours plus dans un sens xénophobe, islamophobe et nationaliste. La question du rapport au mouvement Pegida est alors au centre du débat interne au parti.
Pegida est l’acronyme de Patriotische Europäer gegen die Islamisierung Europas (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident). Ce mouvement qui a fait des adeptes dans quelques autres villes allemandes sous des dénominations parallèles (Legida à Leipzig, Mugida à Munich, etc…) prend ses racines dans la ville de Dresde (Saxe). Lutz Bachmann, qui y est né en 1973, issu du milieu de la petite délinquance, appelle à y manifester le 20 octobre 2014 contre l’islamisation qu’engendrerait, selon lui, l’arrivée massive de migrants musulmans en Allemagne. La manifestation rassemble environ 24.000 personnes. Pegida défend un radicalisme populiste de droite et se déclare en faveur de l’homogénéité culturelle et ethnique des sociétés européennes, ce qui lui donne un caractère non seulement nationaliste mais raciste, au sens allemand du terme « völkisch ». [11]
La direction de l’AfD voit dans son ensemble des points communs avec Pegida qui serait même un « allié naturel ». [12] Marcus Pretzell, député européen depuis 2014 et marié à Frauke Petry, va même jusqu’à qualifier l’AfD de « parti Pegida ». [13] La « plateforme patriotique » de l’AfD de Saxe pactise ouvertement avec le mouvement. Pourtant deux tendances s’affrontent au sein de l’AfD. Björn Höcke, un professeur d’histoire en congé du Land de Hesse, installé en Thuringe, demande à la direction du parti, dans la « résolution d’Erfurt », d’adopter une ligne plus nettement national-conservatrice et crée au sein de l‘AfD une fraction qui prend le nom de « Der Flügel » (L’aile). La tendance plus libérale autour de Bernd Lucke réagit à la fondation de Der Flügel par la publication d’une contre-résolution qui appelle au « réveil du parti » (Weckruf 2015). La scission est consommée lors du congrès de Essen en juillet 2015. Frauke Petry, assistée de Jürgen Meuthen, remplace à la tête du parti Bernd Lucke qui quitte le parti, suivi d’environ 2000 adhérents dont Hans-Olaf Henkel, député européen depuis 2014, ancien manager d’IBM et surtout ancien président de la Fédération de l’industrie allemande, le grand lobby des industriels en Allemagne (Bundesverband der deutschen Industrie, BDI). L’un et l’autre refusent de cautionner une orientation plus droitière de l’AfD qu’ils ont pourtant à leur façon contribué à favoriser. Le 19 juillet 2015, B. Lucke fonde l’Alliance pour le progrès et le renouveau (Allianz für Fortschriftt une Aufbruch, ALFA) qui mène depuis lors une existence plutôt discrète.
Une seconde scission se produit en 2017, elle oppose cette fois Frauke Petry aux autres membres de la direction du parti, en premier lieu A. Gauland et la nouvelle venue Alice Weidel, qui refusent de se distancer de Björn Höcke dont la proximité avec le NPD se manifeste pourtant clairement dans son révisionnisme historique. En amont des élections fédérales de septembre 2017, F. Petry renonce à conduire la campagne électorale de l’AfD. Elle est remplacée, à cette tâche, par A. Gauland et A. Weidel que le congrès de Cologne élit, le 18 juillet 2017, par près de 70% des voix. [14] Née en 1979, A. Weidel est un personnage singulier au sein de l’AfD – signe de l’évolution des mœurs jusque dans un parti conservateur : en tant que femme, elle est pacsée avec une autre femme avec qui elle élève deux enfants. Elle a une formation d’économie et de gestion et a travaillé comme consultante en gestion. Elle co-préside aujourdhui le groupe parlementaire AfD au Bundestag et joue le rôle de cheffe de l’opposition. Quant à Frauke Petry, elle a fondé, avec son mari M. Pretzell et quelques représentants régionaux de l’AfD, un autre parti, le Parti bleu (Die blaue Partei), qui faute de résultats visibles aux élections régionales s’est dissout en novembre 2019.
Mobilisation des abstentionnistes et fluctuations entre les partis
Nous retrouvons dans le parcours plus ou moins chaotique des débuts de l’AfD de nombreux éléments caractéristiques des jeunes partis. Parti nouveau, l’AfD prend des électeurs à tous les partis, d’abord à la droite mais surtout elle parvient à mobiliser les abstentionnistes des scrutins précédents. Ainsi, lors des élections fédérales de septembre 2017 [15], l’AfD aurait mobilisé 1,2 million d’abstentionnistes et aurait pris près d’1 million de voix à la CDU-CSU, 470.000 au SPD et 400.000 à La Gauche. 40.000 électeurs venant des Verts et autant des Libéraux (FDP) auraient voté AfD. Pour près de 700.000 électeurs, leur orientation politique n’a pas pu être précisé – c’est l’occasion de rappeler que l’analyse des fluctuations d’électeurs entre partis fournit des données appréciables mais n’est pas une science exacte. En Thuringe en 2019, l’AfD aurait mobilisé 78.000 abstentionnistes, soit le double du nombre d’électeurs pris à la CDU. Dans le Brandebourg et la Saxe, la situation était semblable, le nombre d’abstentionnistes votant AfD se montant respectivement à 107.000 et 246.000, la différence d’un Land à l’autre s’expliquant par le nombre d’habitants (voir tableau « Topographie géographique et politique des Länder »). [16]
Conflits de personnes et fragmentation du parti
Particulièrement marquées dans tous les jeunes partis – d’aucuns penseront, pas seulement chez les jeunes partis ! – des rivalités personnelles induisent une instabilité au sein de l’AfD, qui favorise la création de fractions et accroit les risques de scission. La tendance libérale-conservatrice qui a présidé à la fondation du parti s’est largement elle-même exclue. La direction actuelle, formée d’A. Gauland et A. Weidel, voudrait faire de l’AfD un parti de droite respectable en capacité de former des coalitions gouvernementales avec les chrétiens-démocrates au niveau régional comme – pourquoi pas un jour – au niveau fédéral. Cela ne leur apparaît pas possible tant que A. Merkel est encore au pouvoir, d’où les paroles très dures d’A. Gauland, le soir des élections fédérales, appelant à « traquer la chancelière » pendant son quatrième mandat [17]. Consciente du rejet dont elle fait l’objet de la part des autres partis, l’AfD compte sur la contrainte objective des chiffres. Elle estime que tôt ou tard les résultats électoraux obligeront les chrétiens-démocrates à s’allier avec elle. La réalité début 2020 est pourtant autre. L’AfD n’est certes pas ostracisée au Bundestag : les autres partis jouent le jeu institutionnel et lui ont accordé, comme le règlement le prévoit, les présidences de commissions qui reviennent au premier parti d’opposition, mais ils ont, par quatre fois, rejeté les candidatures présentées par l’AfD à la co-présidence du Bundestag [18]. Récemment, le président de la commission des affaires juridiques du Bundestag, Stephan Brandner, a été destitué de sa fonction par les autres partis en raison de propos jugés antisémites et d’appels à la haine. [19]
Mimer le jeu démocratique est d’autant moins facile pour l’AfD qu’elle sait ne pas pouvoir se passer de cette partie de l’électorat allemand réceptible aux sirènes de l’extrême droite. C’est ce qui conduit A. Gauland à relativiser l’importance du IIIe Reich qui n’aurait été qu’ « une fiente de pigeon » (Vogelschiss) dans une histoire « millénaire » (sic) par ailleurs faite de succès. [20] Il ne suffit pas de se donner soi-même l’étiquette d’un parti « bourgeois » – bürgerlich en allemand pour conservateur – pour faire de l’AfD un parti respectable. La tâche apparaît d’autant plus malaisée que le parti se radicalise et se déporte de plus en plus vers l’extrême. Le succès remporté par l’AfD en Thuringe par Björn Höcke renforce la tendance identitaire et nationaliste-raciste de « Der Flügel ». Lors du congrès de l’AfD à Braunschweig le 31 novembre 2019, [21] B. Höcke n’a pas candidaté à la présidence du parti mais il a réclamé plus de sièges dans sa direction pour « Der Flügel ». Une affiche d’A. Weidel de 2018 est significative de la radicalisation de l’AfD et sa focalisation sur la question migratoire. A l’occasion des événements de Chemnitz présentés comme le fait de communautés et non pas d’individus (« Syriens et Irakiens massacrent de 25 coups de couteau leur victime ») celle-ci n’hésite pas à pratiquer l’amalgame et déclare brutalement : « La boucherie continue ! ».
En 2016, l’AfD progresse aussi bien Allemagne de l’ouest qu’en Allemagne de l’est, comme le montrent ses résultats en Rhénanie-Palatinat, Bade-Wurtemberg et Berlin. En 2017, elle n’y réalise que des scores mitigés, mais en 2018 pour elle y dépasse à nouveau les 10% en Bavière et en Hesse. Ce sont ses résultats de l’automne 2019 en Saxe, dans le Brandebourg et en Thuringe qui alarment à nouveau l’opinion sur fond de désaffection pour une Grande coalition dont les partis qui la composent se déchirent à l’interne et de sentiment de fin de règne pour la chancelière Angela Merkel. Comme dans tout parti d’extrême droite, les militants et électeurs de l’AfD nient être d’extrême droite. Ils ont pourtant en commun les mêmes références et les mêmes craintes symptomatiques de leur orientation extrémiste : crainte de l’insécurité en raison de la montée réelle ou imaginaire de la criminalité, insatisfaction globale de la politique gouvernementale comme des partis établis, rejet des médias officiels jugés à la botte du « système », qui ne prendraient pas en compte leurs revendications. Mais surtout ils communient dans le rejet d’une politique migratoire favorable aux demandeurs d’asile et qui aurait ouvert les portes aux musulmans, ils rejettent par principe l’islam qui, à leurs yeux, à l’inverse de ce qu’un président fédéral avait un jour affirmé, « n’aurait pas sa place en Allemagne ». [22]
L’AfD est un parti dont le nombre d’adhérents reste, mesuré à l’aune des autres partis politiques, relativement modeste : elle en comptait en 2013 une dizaine de milliers, elle en avait, fin 2018 moins de 40.000. [23] L’AfD a des difficultés à pourvoir les sièges qu’elle occupe au Bundestag (89 en janvier 2020 sur les 94 obtenus en 2017) [24] et dans les parlements régionaux avec du personnel compétent. Ses finances dépendent des cotisations qu’elle perçoit, des dons et surtout des subventions de l’Etat qui varient en fonction du nombre de voix obtenues sans que le montant de ces subventions puissent être supérieur aux ressources propres du parti, soit un total en 2018 de deux fois 10,4 millions d’euro. Bien qu’empêtrée début 2020 dans une affaire de dons non déclarés [25], l’AfD, à l’inverse des partis établis, ne perçoit pas de dons supérieurs à 50.000€, soumis à l’obligation de déclaration. [26]
III. Et maintenant ?
Evolution des résultats électoraux de l’AfD de 2013 à 2019
Pourquoi une telle différence Est-Ouest ?
Sur l’ensemble des seize Länder qui constituent l’Allemagne fédérale (unifiée), l’AfD n’est avec une moyenne de 12,4% que le quatrième parti, derrière la CDU-CSU (24,1%), le SPD (22,2%) et les Verts (13,4%) mais elle dépasse les 20% des voix dans la seule Allemagne de l’est au point d’y être dans certains Länder le deuxième parti derrière la CDU, en Saxe et en Saxe-Anhalt, ou le SPD, dans le Brandebourg et dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, ou encore La Gauche, en Thuringe. Les médias allemands distinguent deux ou trois raisons majeures du succès de l’AfD en Allemagne de l’est : le besoin de reconnaissance d’un électorat qui exprime les frustrations qu’a provoquées chez lui l’unification, les inégalités sociales entre l’Est et l’Ouest et les inégalités entre les territoires. Il y a cependant des nuances à apporter d’un Land à l’autre. Tandis que dans le Brandebourg, les électeurs de l’AfD auraient majoritairement fait part de leur mécontentement – leur vote serait donc d’abord un vote de protestation – la situation serait toute autre en Saxe ou près de 70% des électeurs AfD déclarent avoir exprimé un vote de conviction, adhérer donc aux thèses et au projet politique de leur parti. Leurs motivations apparaissent clairement dans l’enquête réalisée par l’institut de sondage Dimap pour la Première chaîne de télévision allemande (ARD) [27]. Les électeurs de l’AfD estiment en Saxe à 78% que « les Allemands de l’Est sont des citoyens de seconde classe », une opinion à vrai dire largement partagée par l’ensemble de l’électorat saxon (66%). Ils jugent à 55% que « les différences entre l’Est et l’Ouest sont à nouveau devenues plus grandes ces dernières années », cette fois contre 40% de l’ensemble de l’électorat. A 55% également ils estiment que « l’Etat à l’époque de la RDA a plus fait pour ses citoyens », une opinion partagée à 50% par l’électorat de Die Linke mais par seulement 37% de l’ensemble de l’électorat, les électeurs de la CDU, du SPD et du FDP ne partageant que pour 19% d’entre eux cette opinion, ceux des Verts pour seulement 16%. L’AfD a ravi à Die Linke le rôle de défenseur des intérêts des Allemands de l’est et se place, ce qui est pour le moins paradoxal, dans la tradition des manifestations de l’automne 1989 en RDA, reprenant à sa façon son slogan : « Nous sommes le peuple ! ». Il n’est pas de meilleur exemple d’un dévoiement d’un slogan démocratique qui faisait sens en 1989 par un populisme d’extrême droite à la fin des années 2010.
Pendant la campagne électorale tant en Saxe que dans le Brandebourg les doléances ont porté sur la mauvaise couverture dans les campagnes des réseaux de téléphonie mobile, le manque d’accès à internet, l’insuffisance des transports en commun dans les zones rurales, le manque de médecins, toutes doléances qui ne sont pas sans rappeler celles émises en France à l’occasion de la crise des « gilets jaunes » [28]. A cela s’ajoutent en Saxe et dans le Brandebourg les craintes qu’induisent la fermeture des exploitations de lignite, l’objectif du gouvernement fédéral étant de fermer toutes les exploitations de charbon d’ici 2038. L’AfD a surtout gagné dans la frange orientale de ces deux Länder, à la frontière vers la Pologne, là où doivent être fermées à compter de 2023 les exploitations à ciel ouvert de Schleenhain, Welzow, Jänschwalde, Nochten et Reichwalde, qui disposent de réserves exploitables de plusieurs centaines de millions de tonnes de lignite qui permettraient une exploitation pendant encore au moins 25 ans, s’il n’y avait pas de contraintes climatiques et environnementales.
Dès avant les élections de Saxe et de Brandebourg pour lesquelles tous les sondages pronostiquaient une poussée de l’AfD, les partis au pouvoir, CDU en Saxe et SPD dans le Brandebourg mais également le gouvernement fédéral ont réfléchi à ce qu’il faudrait faire pour améliorer les conditions de vie dans les Länder de l’Est. « Une commission pour des conditions de vie équivalentes partout » a été mis en place en septembre 2018 et des propositions ont été faites qui, inévitablement, ont été diversement appréciées. [29]
Les contacts de l’AfD avec les autres mouvements d’extrême droite en Europe
Au début du mois d’avril 2019, Jörg Meuthen, tête de liste pour l’AfD aux élections européennes, suit l’invitation de Matteo Salvini de mettre en place au Parlement européen une nouvelle alliance eurosceptique qui obtienne aisément le statut de groupe politique. Après les élections du 26 mai 2019 le nouveau groupe politique « Identité et démocratie » (ID) compte 73 députés représentants plus de sept nations. Il regroupe les députés européens de la « Ligue du Nord » (Italie) au nombre de 28, du « Rassemblement national » (France, 22 députés) et de l’AfD (Allemagne fédérale, 11 députés) ainsi que ceux du PVV de Geert Wilders (Pays-Bas), du Parti populaire danois (Danemark), des « Vrais finlandais » (Finlande) et d’autres formations nationalistes d’autres pays encore. Les résultats des élections européennes n’ont pas été à la hauteur des attentes de l’AfD qui s’était donné pour objectif de faire au moins aussi bien qu’aux élections fédérales de 2017. A. Gauland a expliqué ce résultat mitigé par le fait qu’il pouvait apparaître contradictoire aux yeux de l’électorat allemand de vouloir faire partie d’un parlement dont on souhaitait provoquer la disparition. Surtout l’AfD avait bien pris conscience du fait qu’une partie même de son électorat n’était nullement favorable à la sortie de l’Allemagne de l’Union européenne et encore moins de l’euro. [30] Aussi bien l’AfD se donne-t-elle modestement pour objectif pratique de « réparer l’Europe et de la ramener à ses fonctions de base ». [31] La sortie de l’Allemagne de l’Union européenne, le « Dexit », ne fait pas recette en Allemagne. Avec ses 11 députés au sein d’un groupe dominé par la « Ligue du Nord », l’AfD n’est pas en position de force, son programme européen la met de plus en porte à faux en Allemagne alors même que les élections européennes permettent aisément aux électeurs de formuler des votes de protestation.
Pluripartisme et stabilité gouvernementale : la question des coalitions à Berlin et dans les Länder
L’entrée de l’AfD au Bundestag porte à six [32] le nombre des partis représentés au Bundestag. Le parlement fédéral s’est, depuis 1949, régulièrement accru de nouveaux partis. Longtemps il n’en a compté que trois principaux, la CDU-CSU, le SPD et le FDP, ce dernier servant d’appoint aux deux premiers pour former, en fonction des résultats électoraux, des coalitions gouvernementales dans l’ensemble stables. Les Verts sont venus s’ajouter en 1983, puis après l’unification, le Parti du socialisme démocratique (PDS), intégré dans la nouvelle formation se dénommant La Gauche (Die Linke) à partir de 2007.
Les Verts ont formé un gouvernement de coalition avec le SPD de 1998 à 2005, année où la CDU-CSU a repris la main à la tête d’une grande coalition avec le SPD qui s’est, avec des bonheurs divers, maintenue jusqu’à maintenant avec toutefois un retour temporaire d’une coalition CDU/CSU-FDP de 2009 à 2013. C’est dire que l’accroissement du nombre de partis représentés au Bundestag n’a pas sérieusement empêché la formation de coalitions de gouvernement au niveau fédéral. La fragmentation croissante du paysage politique a eu principalement pour conséquence de rendre la formation de gouvernement de coalition plus difficile et plus longue. Cela avait déjà été le cas pour la formation d’une grande coalition en 2013, cela l’est encore davantage en 2017/18. En 2013, la formation de la grande coalition a pris 86 jours, il en aura fallu 171 après les élections fédérales de 2017 : Angela Merkel ne prend ses fonctions que le 14 mars 2018. Nous ne reviendrons pas ici sur les péripéties de la difficile formation de cette nouvelle grande coalition avec ses allers et retours entre chrétiens-démocrates, libéraux, Verts et sociaux-démocrates [33]. L’énoncé de ces partis montre du moins que tous les partis, partie prenante dans la négociation, se jugent mutuellement compatibles et susceptibles de former entre eux une coalition de gouvernement. Les seuls partis exclus sont l’AfD et La Gauche (Die Linke).
Les Länder présentent quant à eux une diversité plus grande encore de choix de partenaires pour former une coalition et constituent de ce fait un véritable laboratoire d’expérimentation politique en Allemagne. L’accroissement du nombre des partis représentés dans les parlements régionaux n’a pas empêché la formation de gouvernements, il a poussé à la constitution de coalitions non plus seulement à deux mais à trois avec les combinaisons les plus diverses entre les partis, le seul Land ayant encore un gouvernement homogène (CSU) étant la Bavière. On trouve au total treize combinaisons différentes.
La CDU gouverne depuis mai 2017 avec le FDP le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, un ancien bastion social-démocrate. Elle gouverne avec les Verts en situation de « partenaire junior » le Land de Bade-Wurtemberg dont le chef de gouvernement, Winfried Kretschmann, est un Vert. Elle dirige une coalition avec les Verts en Hesse et des coalitions à trois impliquant les Verts dans les Länder de Saxe-Anhalt et de Saxe (avec la combinaison CDU-SPD-Verts, coalition noire-rouge-verte dite aux couleurs du Kenia) et du Schleswig-Holstein (coalition dite cette fois aux couleurs de la Jamaïque avec Les Verts et le FDP). Enfin elle dirige une grande coalition en Sarre.
Le SPD, pour sa part, est à la tête d’un gouvernement de coalition avec les Verts en Basse-Saxe et à Hambourg. Il gouverne à Berlin avec La Gauche et les Verts, dans le Brandebourg avec la CDU et les Verts. Il est à la tête du gouvernement de Rhénanie-Palatinat au sein d’une coalition associant FDP et Verts. Il dirige une coalition avec la CDU en Mecklembourg-Poméranie occidentale. A Brème, gouvernée jusqu’aux élections de 2019 par une coalition SPD-Verts, le SPD est désormais à la tête d’une coalition avec les Verts, mais aussi, pour la première fois à l’ouest (en dehors de Berlin), avec Die Linke.
Un cas est en instance depuis les élections régionales du 27 octobre 2019, c’est celui de la Thuringe. La coalition sortante dirigée par un ministre-président de Gauche, Bodo Ramelow, en association avec le SPD et les Verts, a perdu sa majorité. Des pourparlers entre les différents partis – hors AfD – il ressort que seul un gouvernement minoritaire les réunissant à nouveau serait susceptible de se maintenir. S’il peut du moins trouver une forme d’accord avec le soutien plus ou moins avoué de la CDU. L’affaire reste délicate dans la mesure où la tête de liste chrétienne-démocrate, Mike Möhring, doit trouver un processus qui ne contrevienne pas à l’interdiction faite par son parti de pactiser avec Die Linke comme avec l’AfD alors que son aile conservatrice ne détesterait pas se rapprocher de celle-ci même si une coalition CDU-AfD ne disposerait pas de la majorité au parlement d’Erfurt. Le cas de la Thuringe est d’autant plus intéressant qu’il met à mal la théorie des deux extrêmes à exclure : C’est une Gauche social-démocratisée sous B. Ramelow qui est au pouvoir tandis que l’AfD cherche à se faire admettre dans le cercle des partis respectables alors qu’avec B. Höcke la fédération de Thuringe compte parmi les plus radicales (Der Flügel). [34]
Les succès engrangés jusqu’à maintenant par l’AfD tiennent au fait que celle-ci est parvenue, sur fond de crise migratoire, à mobiliser des électeurs qui s’étaient jusqu’à maintenant détournés de la politique et à sa capacité à louvoyer entre souci de respectabilité « bourgeoise » et radicalisation de plus en plus poussée vers l’extrême droite, là où se trouvent des réserves électorales non encore exploitées par les autres partis. Elle s’adresse à ces 10 à 20% de l’électorat qui restent, d’une époque à l’autre, sensible aux argumentations sécuritaires et xénophobes, les musulmans remplaçant les juifs dans leur vindicte. C’est en cela que l’AfD brise le tabou qu’avait installé en Allemagne la honte du passé nazi. Comme le formule Johannes Kiess, de l’Université de Siegen, « ce qui était jusqu’alors tabou, devient normal jusque dans une partie du centre de la société [35]. » Les électeurs de l’AfD sont pour une grande part des abstentionnistes mais pour une grande part également des électeurs traditionnels de la droite qui ne se trouvent plus représentés dans les partis conservateurs traditionnels, et que la CSU d’un Franz Josef Strauss cherchait en son temps à intégrer en parlant leur langage. Sous Angela Merkel la CDU s’est découverte sur sa droite comme le SPD de Gerhard Schröder s’est découvert sur sa gauche facilitant l’établissement de Die Linke. Mais l’AfD doit compter avec les réactions hostiles de la plus grande partie de l’opinion publique et du monde politique en Allemagne. Passé le choc de l’entrée de l’AfD au Bundestag aux élections fédérales de septembre 2017 et suite au renouveau dans le pays de l’antisémitisme comme de l’émergence d’un terrorisme d’extrême droite, les institutions et les partis démocratiques réagissent et dénoncent la brutalisation du discours politique engendrée par l’extrême droite et le retour du nationalisme – comme l’a fait le président fédéral devant le Bundestag à l’occasion de la commémoration du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz. [36] En ce sens, les succès électoraux de l’AfD ne font pas de l’Allemagne un pays d’extrême droite, comme le relève la dernier étude de l’université de Leipzig sur l’autoritarisme et l’extrémisme de droite en Allemagne [37].
Manuscrit clos le 7 février 2020
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