Les trésors de l’expressionnisme allemand
Exposition : Wuppertal dévoile les trésors de l’expressionnisme allemand
Pour la première fois depuis 25 ans, le musée Von der Heydt de Wuppertal confronte les deux mouvements phares de l’expressionnisme allemand : Die Brücke et Der Blaue Reiter (Cavalier bleu). Une exposition revigorante à voir jusqu’au 27 février 2022.
Ils se connaissaient. Ils exposaient ensemble, travaillaient avec les mêmes galeristes, s’appréciaient et se méprisaient aussi, parfois. Ils avaient la même volonté de briser les conventions de l’art académique. Ils étaient animés du même élan : libérer la subjectivité et l’exprimer à travers des formes simples et des couleurs vives, d’une naturalité rafraichissante. Mais ils n’étaient pas toujours d’accord. Les artistes des mouvements « Die Brücke » et « Der Blaue Reiter » (Le Cavalier bleu), considérés comme les phares de l’expressionnisme allemand, au début XXe siècle, font l’objet d’une grande exposition au musée Von der Heydt de Wuppertal. Depuis 1996, plus aucun musée allemand n’avait eu l’idée de les confronter.
L’exposition s‘intitule « Brücke und Blauer Reiter ». Elle présente 90 toiles et 70 travaux graphiques sur papier jusqu’au 27 février 2022. Les oeuvres sont signées Ernst-Ludwig Kirchner, Karl Schmidt-Rottluff, Erich Heckel, Ma,x Pechstein, Emil Nolde et Otto Müller pour le mouvement Die Brücke. Elles le sont par Vassily Kandinsky, Gabriele Münter, Franz Marc, August Macke, Alexej von Jawlensky, Marianne von Werefkin et Paul Klee pour le Cavalier bleu.
L’accent est mis sur la période allant de 1905, date de création du mouvement « Die Brücke », jusqu’à la césure de la Première Guerre mondiale. Les artistes féminines sont aussi mises en valeur.
L’ensemble doit sa richesse à la coopération de trois musées aux fonds très riches dans le domaine de la peinture expressionniste : le musée Von der Heydt, les Collections d’art de Chemnitz et le musée Buchheim de Bernried am Starnberger See. De grandes institutions étrangères ont également apporté leur contribution, comme le musée Stedelijk d’Amsterdam qui a prêté le tableau de Vassily Kandinsky « Improvisation 33 (Orient I) ».
Atteindre une nouvelle génération
Il ressort de cette confrontation une vision renouvelée de l’expressionnisme. « Beaucoup de ces tableaux nous semblent familiers, mais c’est justement la raison pour laquelle nous ne les regardons plus consciemment », souligne Roland Mönig, directeur du musée Von der Heydt. Par ailleurs, « il était plus que temps de rendre accessible ce chapitre décisif de l’histoire de l’art en Allemagne à une nouvelle génération, et de poser de nouvelles questions aux oeuvres », ajoute-t-il.
Die Brücke est né à Dresde en 1905, fondé par quatre étudiants en architecture, Ernst-Ludwig Kirchner, Erich Heckel, Karl Schmidt-Rottluff et Fritz Bleyl. Le Cavalier bleu s’est formé à Munich autour de Vassily Kandinsky, Franz Marc et August Macke en 1911/1912 avec le projet de publier un almanach (1912). Le premier était un pur regroupement de peintres. Le second était plus intéressé aux aspects théoriques de l’art et plus ouvert, par exemple à des compositeurs et à des critiques d’art.
Confrontation féconde
Du point de vue artistique et formel, les ressemblances sautent aux yeux. « Ce qui est révolutionnaire dans l’art expressionniste, c’est la confiance accordée à la subjectivité », résume M. Mönig, spécialiste de la période. « Les deux mouvements voulaient être les pionniers d’une nouvelle façon de voir, de sentir, de penser. Ils attendaient l’émergence d’un monde nouveau et voulaient y apporter leur contribution. »
La Première Guerre mondiale mettra un terme tragique à leurs aspirations. Plusieurs artistes y laisseront la vie, à l’instar des amis Franz Marc, tombé en 1914 à l’âge de 27 ans, et August Macke, mort à Verdun en 1916 à 36 ans. Les survivants, comme Max Beckmann et Ernst-Ludwig Kirchner, trouveront après 1918 des tonalités plus mélancoliques, voire désespérées. L’expressionnisme sera iconique sous la République de Weimar avant d’être stigmatisé comme « art dégénéré » par les nazis. Il retrouvera sa puissance d‘inspiration dans l’après-guerre. Les expressionnistes seront considérés comme des « étendards de la liberté », et leur énergie créatrice, contagieuse, sera un stimulant pour de nouveaux départs.
Mais au-delà des similitudes, il vaut la peine d’interroger les différences pour mieux comprendre la richesse de l’expressionnisme allemand. Les tensions existaient, entre Die Brücke et Der Blaue Reiter, mais aussi au sein des mouvements eux-mêmes. « Quand on idéalise [trop] les expressionnistes, on oublie ou on ignore les conflits et les contradictions internes », souligne ainsi Roland Möning. « Par exemple, Franz Marc, que l’on voit comme une personnalité douce occupée à peindre des animaux, est parti la fleur au fusil sur le champ de bataille de la Première Guerre mondiale, animé d’un patriotisme mal compris. Il y a trouvé la mort. Ou Emil Nolde, dont le cas est célèbre : il a cherché, apparemment en vain, à se faire bien voir des nazis dans la ferme conviction d’être appelé à devenir le peintre »allemand« .
Brücke und Blauer Reiter
Exposition au musée Von der Heydt de Wuppertal jusqu’au 27 février 2022