Feu vert pour la coalition « feu tricolore ».
Feu vert pour la coalition « feu tricolore »
Par Jérôme Vaillant
Il y a quatre ans, à la même époque – fin novembre 2017 – la défection des Libéraux mettait un terme aux pourparlers préparatoires en vue de former en Allemagne une coalition dite « aux couleurs de la Jamaïque », associant sous la direction de la chancelière sortante, Angela Merkel, les Verts et les Libéraux aux chrétiens-démocrates. Le président du FDP, Christian Lindner, estimait qu’« il valait mieux ne pas gouverner plutôt que de mal gouverner ». Il plongeait ainsi le pays dans une crise politique d’autant plus délicate que le SPD, alors présidé par Martin Schulz, avait rejeté l’idée de former une nouvelle « Grande coalition » avec les chrétiens-démocrates. Les sociaux-démocrates préféraient se regénérer dans l’opposition après le cuisant échec subi aux élections fédérales : avec un résultat de 20,5 % des voix, ils avaient perdu 5,2 points de pourcentage. Il avait fallu l’intervention du président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, lui-même social-démocrate, pour les amener, après de nombreuses péripéties, à accepter de former à nouveau une grande coalition avec les chrétiens-démocrates. C’est seulement le 14 mars 2018 qu’A. Merkel avait été élue, pour la quatrième fois, chancelière de la République fédérale, soit après une durée jamais atteinte jusqu’alors de 171 jours après le scrutin du 24 septembre 2017. Le système institutionnel et partisan du pays avait paru un temps ne plus être en mesure de doter le pays d’un gouvernement stable et fiable.
Au sortir des élections fédérales du 26 septembre 2021, la situation semblait plus confuse encore et pourtant, en l’espace de quelques semaines, SPD, Verts et Libéraux ont été en mesure d’élaborer un contrat de coalition présenté à la presse le 24 novembre. Il fait 177 pages et est consultable en ligne sur les sites des partis et des principaux quotidiens et magazines. Après validation de ce contrat de gouvernement par les instances décisionnaires des partis, l’élection d’Olaf Scholz par le Bundestag à la fonction de chancelier a eu lieu le 8 décembre 2021.
Dans la première ligne du préambule du contrat de coalition les trois partis jugent qu’au vu des résultats des élections fédérales « ils ont reçu mandat de former ensemble une coalition de gouvernement ». Pourtant, pendant la campagne électorale, même si aucun parti n’avait constitué d’alliance stratégique pour parvenir au pouvoir et alors même que les Verts disaient se sentir plus proches des sociaux-démocrates, les Libéraux avaient affirmé haut et fort qu’ils étaient, eux, plus proches des chrétiens-démocrates. Le président du FPD, Christian Lindner s’était même entretenu avec son homologue de la CDU et candidat de l’Union, Armin Laschet, de la possibilité de former une coalition à trois avec les Verts. Malgré la défaite historique des chrétiens-démocrates qui ont perdu, en 2021, 8,8 points de pourcentage après en avoir perdu à peu près autant en 2017 (8,6 points), réalisant son plus mauvais score historique depuis 1949, A. Laschet n’avait pas exclu cette possibilité dès avant le soir des élections. Il y voyait un ultime moyen pour permettre à la CDU-CSU de se maintenir envers et contre tout au pouvoir et, pour lui-même, de continuer à jouer un rôle sur la scène politique en se faisant élire chancelier. La différence entre CDU-CSU et SPD n’était en effet que de 1,6 point de pourcentage, les partis d’une coalition aux couleurs de la Jamaïque totalisaient 50,5 % des voix et 407 sièges au Bundestag contre 52 % et 416 sièges[4] à la coalition « feu tricolore ». Le Bavarois Markus Söder, qui avait été le rival malheureux d’A. Laschet pour être le candidat chrétien-démocrate à la chancellerie, avait bientôt, au nom de la CSU, mis un terme à cette illusion et provoqué la démission d’A. Laschet de la présidence de la CDU, qui, pour la troisième fois en trois ans depuis la démission d’A. Merkel fin novembre 2018, se cherche à nouveau un président. La CDU de l’après-Merkel va connaître les affres de la recomposition dans l’opposition.
Habituée des scores supérieurs à 40 %, la CDU-CSU avait connu à la fin de l’ère Kohl un affaiblissement notable, fluctuant autour de 35 % entre 1998 et 2013. Ce n’est qu’en 2013, avec 41,5 % des voix, qu’A. Merkel avait réussi à lui faire dépasser à nouveau la barre des 40 % – avant de réaliser par deux fois son plus mauvais score historique. La position de la CDU-CSU au sein d’une coalition aux couleurs de la Jamaïque eût été fragile, elle aurait été le seul parti à avoir perdu des voix à côté de deux partenaires qui en avaient notablement gagné.
Certes les Verts avaient espéré beaucoup mieux faire – ils s’étaient même vus, dans un moment d’euphorie dû à des sondages particulièrement favorables, placer, en la personne de leur co-présidente Annalena Baerbock, pour la première fois une chancelière verte à la tête du gouvernement fédéral – ils gagnent malgré tout près de 6 points de pourcentage et font 14,8 % des voix. Ils envoient ainsi au Bundestag le troisième groupe parlementaire, après ceux du SPD et de la CDU-CSU, loin devant le FDP, l’extrême droite représentée par l’AfD et l’extrême gauche représentée par Die Linke, qui tous deux perdent des voix mais dont les scores méritent pourtant de retenir l’attention.
Évoquons d’abord la situation du FDP qui fera l’objet d’une étude approfondie de Jens Hacke dans le prochain numéro (No 239, janvier-mars 2022) « d’Allemagne d’aujourd’hui ». Longtemps parti d’appoint pour les chrétiens-démocrates mais également, dans un laps de temps moindre, de 1969 à 1981, pour les sociaux-démocrates, ils avaient, après un retour peu convaincant au gouvernement entre 2009 et 2013, raté de peu, avec 4,8 % des voix, leur entrée au Bundestag en 2013. Bien des commentateurs les avaient alors déjà vus disparaître définitivement de la scène politique allemande, le rôle de troisième parti revenant, à leurs yeux, aux Verts en quasi constante croissance depuis le milieu des années 1990. Ils se sont pourtant rétablis en 2017 et, malgré leur défection d’alors, ils ont légèrement progressé depuis de 0,8 point. Ils n’ont pas seulement réussi leur rétablissement ils ont su, mieux que les Verts, s’imposer dans la négociation en vue de la formation d’une coalition « feu tricolore » comme le partenaire indispensable.
Le SPD sort victorieux des élections fédérales de septembre. Pourtant c’est d’une courte victoire qu’il convient de parler. Son score de 2021 est équivalent à celui de 2013 qui avait, à juste titre, passé alors pour un mauvais résultat, historiquement presque le plus mauvais du parti depuis 1949, le plus mauvais ayant été atteint en 2009, avec 23 % des voix. Mais toute la différence d’avec la CDU-CSU réside dans le fait que de 2017 à 2021, le SPD n’a pas perdu de voix, il a progressé de 5,2 points alors que longtemps les sondages ne le voyaient pas à un tel niveau et que son candidat à la chancellerie, Olaf Scholz, passait certes pour sérieux mais aussi pour être passablement ennuyeux. On a parlé à l’occasion en France d’un retour au pouvoir du SPD dans la mesure où c’est son candidat qui emporte la chancellerie et n’est plus l’éternel second derrière les chrétiens-démocrates. Il s’agit plutôt d’un maintien au pouvoir auquel le SPD a participé sans discontinuité depuis 2013.
L’extrême droite, avec l’AfD, perd 2,3 points de pourcentage mais reste au-dessus de la barre des 10 %, ce qui fait dire à Alice Weidel, présidente de son groupe parlementaire, que malgré son recul, le parti se maintient et fait désormais partie intégrante du paysage politique en Allemagne. Mais sa croissance, malgré la crise du Covid et les succès du parti dans l’Est de l’Allemagne, apparaît au total « résistible ». La situation de Die Linke est moins enviable : bien que passé en dessous de la barre des 5 % ce parti ne doit son maintien au Bundestag que parce qu’il a obtenu trois sièges directement dans trois circonscriptions. La loi électorale prévoit en pareil cas qu’il participe, comme les autres partis, à la répartition des sièges au Bundestag proportionnellement au nombre de voix obtenues, en l’occurrence 4,9 %. Die Linke ne peut toutefois pas ignorer qu’en perdant de 2017 à 2021 4,3 points de pourcentage il a quasiment divisé son score par deux.
Le Bundestag 2021-25 comprenant six groupes parlementaires confirme l’évolution du système des partis vers le pluripartisme, mais ce qui est nouveau, c’est la fragmentation de l’électorat. Aucun parti ne dépasse la barre des 30 % les obligeant à passer d’un régime de coalition à deux partis à un régime de coalition à trois partis. Cela pose également la question de savoir si ces partis qui tournent autour de 25 % sont encore des partis de rassemblement (Volksparteien) comme dans le passé et si, avec près de 15 % les Verts peuvent y prétendre. La question fait l’objet d’appréciations diverses de la part des commentateurs politiques.
Autre phénomène qui mérite d’être relevé : le nouveau Bundestag continue de croître démesurément, il compte 736 députés, plus que jamais auparavant alors qu’il pourrait n’en compter que 598. Il en comptait déjà 709 lors de la précédente législature. Le Bundestag n’a pas réussi à se mettre d’accord sur la façon de réduire le nombre des députés tout en respectant l’injonction faite en 2012 par le Tribunal fédéral constitutionnel de veiller à ce que la voix de chaque électeur ait le même poids lors de la répartition des sièges entre les partis. C’est aussi et surtout le fait du mode de scrutin à la proportionnelle, la répartition des sièges se faisant au niveau des Länder tandis que le nombre de sièges attribués aux partis dépend de leur score global au plan fédéral.
Le contrat de coalition
Pour mener aussi sereinement que possible les négociations qui ont abouti, comme il est d’usage en Allemagne, à la mise au point de leur contrat de coalition les trois partis ont tiré les leçons de l’échec des pourparlers préparatoires entre CDU-CSU, Verts et FDP quatre années plus tôt. Vu leurs divergences non négligeables sur plusieurs questions fondamentales – la politique climatique mais surtout la politique budgétaire avec la question des augmentations d’impôts – Libéraux et Verts se sont rencontrés dans un premier temps pour vérifier s’ils avaient suffisamment de points communs pour gouverner ensemble et s’ils en avaient la volonté dans un esprit de compromis. Ce travail de déminage effectué, les deux partis ont entamé des pourparlers préparatoires avec le SPD, relégué jusque-là dans la position d’un observateur. À trois ils se sont mis alors d’accord sur une série de négociations en groupes d’experts et se sont donné une méthodologie de travail qui prévoyait que rien ne devait fuiter vers l’extérieur afin de ne pas compromettre par des polémiques dans les médias le bon déroulé des entretiens internes. En 2017, les pourparlers sur une coalition aux couleurs de la Jamaïque avaient, entre autres raisons, capoté parce que des fuites avaient exposé sur la place publique les divergences entre les partis, créant une atmosphère délétère entre Verts et Libéraux. Ceux-ci, en particulier, avaient eu le sentiment que la chancelière avait plus d’égard pour les Verts que pour eux. En 2021, les trois partis ont dans l’ensemble respecté leur obligation de discrétion envers les médias, sauf exception.
Le contrat de coalition de 177 pages reprend largement en les développant et les détaillant le document de 13 pages issu des pourparlers préparatoires. Il place l’action gouvernementale sous le signe du progrès : son titre « Oser plus de progrès » rappelle la formule « Oser plus de démocratie » de Willy Brandt en 1969, une façon pour le SPD et Olaf Scholz de se placer dans la tradition du premier chancelier social-démocrate de la République fédérale et de montrer qu’avec cette nouvelle coalition menée par le SPD une nouvelle étape est ouverte. Ce sera le fruit, comme l’indique le sous-titre, de l’alliance conclue en faveur de la liberté, de l’équité sociale et du développement durable (« Bündnis für Freiheit, Gerechtigkeit und Nachhaltigkeit »). Les trois partis annoncent un nouveau départ pour l’Allemagne (Aufbruch) dans le sens du progrès (Fortschritt), un terme qui n’est neutre pour personne puisqu’il vise autant à favoriser les énergies durables au nom de la protection du climat qu’à encourager l’innovation technologique sans laquelle, pour le FDP, aucun progrès n’est possible. Les trois partis se donnent pour objectif de maîtriser le changement climatique par la décarbonation de l’industrie et de la société, le recours aux énergies fossiles devant idéalement cesser dès 2030, conformément au programme des Verts, plus tôt que prévu par l’Union européenne ou que dans les programmes du SPD qui se donnait jusque 2040, par égard pour les exploitations de lignite en particulier en Allemagne de l’Est, et du FDP qui visait l’horizon 2050. Pourtant, les Verts n’ont pas réussi à imposer la limitation de la vitesse à 130 km/h sur les autoroutes – qui restera donc une vitesse recommandée.
Sur le plan social, le FDP a accepté que le salaire minimum brut passe en une fois et dès la première année de 9,80 à 12 €. (Il est depuis octobre 2021 de 10,48 € en France). Mais il a obtenu que le marché de l’emploi fonctionne sur la double base de la sécurité et de la flexibilité, celle-ci étant nécessaire à l’innovation. Patronat et syndicats sont encouragés à mettre au point des modèles de flexibilité du temps de travail dans le cadre du partenariat social. L’âge de la retraite ne sera pas relevé, son montant ne pourra être inférieur à 48 % du salaire. En même temps l’assurance retraite est autorisée à placer ses réserves sur les marchés financiers. Point important qui demande cependant encore à être précisé, l’indemnité chômage sera remplacée par un « revenu citoyen » (Bürgergeld), ce qui permettra au SPD de faire oublier au moins dans le vocabulaire l’indemnité Harz IV introduite dans le cadre de l’agenda 2010 par le chancelier G. Schröder, qui avait valu au SPD le reproche de ne plus être le parti de la justice sociale. Enfin les trois partis s’engagent sur un programme de construction de logements (400 000 nouveaux logements par an dont 100 000 financés avec l’aide de l’État) et sur la rénovation du système de santé au vu des leçons à tirer de la pandémie. Avant même sa publication, la future coalition a dû faire face aux médias qui lui reprochaient son attentisme face à la recrudescence de la pandémie et au refus du SPD de dire qui occuperait le poste de ministre fédéral de la Santé. Elle a réagi en mettant en place une cellule de crise au sein de la chancellerie qui sera assistée d’un conseil d’experts, une formule qui rappelle le Conseil de défense sanitaire en France avec son Conseil scientifique. Mais cette cellule de crise devrait être plus transparente que le conseil français.
Pour faire évoluer la société, le contrat de coalition prévoit d’abaisser l’âge légal pour exercer son droit de vote de 18 à 16 ans et d’introduire des droits des enfants dans la constitution, ce qui ne sera possible qu’avec une majorité des deux tiers. Essentiel l’engagement du futur gouvernement de combattre, dans cet ordre de priorités, l’antisémitisme, le racisme, l’extrémisme de droite, l’islamisme, l’extrémisme de gauche et la xénophobie. C’est comme la liste des menaces qui pèsent sur la société en Allemagne.
Sur la question la plus controversée entre SPD et Verts d’une part et les Libéraux d’autre part, ces derniers se sont largement imposés et le ministère des Finances leur a été attribué. La coalition s’engage en effet à ne pas augmenter les impôts et à respecter le frein à la dette publique ancré dans la constitution et à revenir en 2023 au pacte de stabilité défini par le traité de Maastricht – quand s’achèvera la dérogation à ces critères acceptée par A. Merkel à l’initiative de la France. Par contre la coalition favorisera les dégrèvements fiscaux pour les investissements d’avenir, à savoir pour lutter contre le changement climatique, améliorer les infrastructures et la numérisation, soutenir la formation et la recherche. Reste à préciser comment sera financé le programme d’investissements de 50 milliards d’euros l’an prévu par les Verts.
Un dernier point essentiel est celui de la politique extérieure que souhaitera pratiquer le nouveau gouvernement fédéral qui aura pour ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock qui aura la difficile tâche de passer des analyses abstraites en droit international et des déclarations d’intention à leur concrétisation en actes. Le contrat de coalition indique qu’« en tant que membre le plus grand de l’Union européenne nous assumerons notre responsabilité particulière au service de l’UE comprise comme un tout. » L’Allemagne souhaite défendre les principes de l’État de droit, promouvoir autant que faire se peut une politique migratoire européenne, faire évoluer la politique fiscale de l’Union et aboutir l’union bancaire telle que l’Allemagne la conçoit. Elle entend également orienter l’Union européenne vers une « Europe sociale ».
Mais derrière ces évolutions possibles dans le cadre de la conférence sur l’avenir de l’Union, on retrouve la doxa qui caractérise l’Allemagne depuis des décennies : l’Allemagne sait qu’elle ne peut rien seule et reste fidèle au multilatéralisme. Le contrat de coalition reprend à son compte l’idée de « souveraineté stratégique européenne » mais sans en préciser le contenu et la portée, il précise que pour poursuivre la construction européenne, ce sera autour du tandem franco-allemand et du Triangle de Weimar (Allemagne, France et Pologne) – qui fête en 2021 son trentième anniversaire – mais surtout il continue de voir dans la relation transatlantique le pilier central de sa politique extérieure et dans l’OTAN, l’« élément indispensable de notre sécurité ». Allant tout à fait dans le sens du SPD et des Verts, le contrat préconise une initiative en faveur du désarmement, en particulier nucléaire – qu’il faudra rendre compatible avec la « souveraineté stratégique européenne ». Concession significative dans ce contexte : la coalition accepte d’équiper la Bundeswehr de drones afin d’assurer sa défense dans le cadre d’opérations extérieures.
Le contrat de coalition attribue les portefeuilles aux différents partis et précise ainsi le rapport de forces entre eux sans indiquer les noms des détenteurs de portefeuille : 6 pour le SPD en plus du poste de chancelier et sans compter le chef de la chancellerie qui a rang de ministre, Wolfgang Schmidt ; 5 pour les Verts et 4 pour les Libéraux.
Ensuite, la parole a été donnée aux instances des partis de la coalition qui ont validé, soit dans le cadre de congrès extraordinaires soit dans celui d’une consultation de la base, le contrat de coalition avec la répartition des portefeuilles ministériels qu’il comprend. L’attribution du ministère des Finances au FDP a tranché la plus vive controverse au profit des Libéraux qui sortent renforcés des négociations. Les Verts ont obtenu, en contrepartie, un « superministère » de l’Économie et de la protection du climat. Robert Habeck, occupera le poste et sera en même temps vice-chancelier – conformément au fait qu’en terme de voix, les Verts sont devant les Libéraux. La mise en place du nouveau gouvernement aura duré moins de trois mois, ses acteurs s’engagent à coopérer entre eux et à se concerter une fois par mois, se donnant ainsi le moyen de contrôler ensemble leur action dans le cadre de comités de suivi. Chacun sait qu’un contrat de coalition est une chose mais qu’il peut être vite dépassé par des événements imprévus. Au moins fixe-t-il le cadre de l’action gouvernementale et ses objectifs.
On se demande à l’occasion si au plan fédéral une coalition à trois sera viable, si l’alliage ne comporte pas trop de substances hétérogènes pour tenir. Les Länder ont servi de champ d’expérimentation pour des coalitions gouvernementales à trois. Outre que c’est actuellement le cas de huit Länder sur seize, le Brandebourg et Brême ont été dirigés dans le passé déjà par des coalitions « feu tricolore », certes avec des fortunes diverses, mais depuis 2016, la Rhénanie-Palatinat est gouvernée par une telle coalition, avec Malu Dreyer (SPD) à sa tête, dont la stabilité a servi de modèle à Olaf Scholz. Certes un gouvernement fédéral est confronté à d’autres problèmes qu’un Land. Mais Verts et Libéraux sont tenus de surmonter leurs divergences parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de faire rater l’expérience en raison de leurs divergences. Il s’agit aujourd’hui pour les trois partis gouvernementaux de « bien gouverner ». Ils ont fait preuve dans la négociation de leur accord de ce sens du compromis qui caractérise la vie politique en Allemagne et se sont, de plus, comme toute coalition, donné les moyens de surmonter les divergences – qui ne manqueront pas de se manifester avec le temps – par la concertation. Plusieurs paragraphes abordent dans le contrat de coalition la question de la coopération entre les partis : ceux-ci s’engagent à rechercher le consensus dans leur travail tant au niveau gouvernemental (rencontres mensuelles d’un comité formé par les trois partis) qu’au niveau parlementaire (coopération entre les groupes parlementaires au Bundestag). L’observateur prudent est tenté de penser que c’est presque trop beau pour être vrai. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la coalition « feu tricolore » est placée sous un bon augure – même si, avant qu’elle soit officiellement en fonction, elle fait l’objet de critiques acerbes pour sa gestion d’une pandémie recrudescente.
Jérôme Vaillant
Prof. (ém.) de civilisation allemande auprès de l’université de Lille.
Rédacteur en chef de la revue « Allemagne d’aujourd’hui ».
Délégué régional de l’AFDMA pour les Hauts-de-France.