Tribune : L’U.E. face à l’heure de vérité de la « guerre ».
L’Union européenne face à l’heure de vérité de la « guerre »
Par Cyrille Schott | 12/07/2018.
Avec le recul historique, on peut soutenir que l’unité italienne comme l’unité allemande, au 19e siècle, se sont accomplies par des guerres au sein d’une même famille civilisationnelle. L’Union européenne, formée de peuples qui se sont beaucoup battus entre eux dans le passé jusqu’aux épouvantables guerres du 20e siècle, a entrepris une marche vers l’unité, encouragée par son « enfant », les États-Unis. Mais désormais, ce parent si proche si intime de la famille atlantique s’est retourné contre elle.
En ce siècle, une Union dans le monde occidental ne se crée plus « par le fer et le sang », selon la fameuse expression de Bismarck, mais l’épreuve ou la guerre sous une autre forme représente toujours pour elle l’heure de vérité. C’est dans la victoire face à l’épreuve qu’elle peut se consolider, ou dans l’échec qu’elle peut se disloquer.
L’unité italienne et l’unité allemande, au 19e siècle, furent accomplies à travers la guerre contre l’empire d’Autriche, s’agissant de l’Italie, contre l’Autriche et la France, s’agissant de l’Allemagne. La victoire de Sadowa en 1866 face aux Autrichiens, puis
celle de 1870-1871 contre le second Empire français permirent l’union des États allemands autour de la Prusse, au sein de l’Empire wilhelminien. La campagne victorieuse de 1859, à laquelle Napoléon III prit une part majeure, fut décisive pour l’unification italienne autour de la Maison de Savoie.
Conflits de famille
Les Allemands, autour de la Prusse, se sont battus contre d’autres Allemands, autour de l’Autriche, puis contre un peuple, le nôtre, issu de la même matrice carolingienne et portant le nom d’une peuplade germanique. Les Autrichiens ont été écartés de l’Allemagne et les Français ont servi de catalyseurs à l’unification. Les Italiens se sont battus contre l’empereur Habsbourg, qui avant d’être empereur d’Autriche (depuis 1804, date de création de cet empire), l’avait été du Saint Empire romain germanique, dont une grande part de l’Italie avait fait partie. Au fond, c’était en relevant victorieusement un défi guerrier contre un membre de la famille que ces unités ont pu se réaliser. L’échec face à ce défi eut pérennisé la division, voire provoqué une dislocation. Les
États de l’Allemagne du Sud, comme la Bavière, n’auraient pas manqué de réaffirmer leur indépendance et leur personnalité propre. Peut-être auraient-ils réintroduit l’Autriche des Habsbourg dans le jeu allemand. Les réunions forcées, comme celle du Hanovre, décidées par la Prusse en Allemagne du Nord, après les victoires de 1866, auraient pu être remises en cause. Un nouvel échec du Piémont, après celui de 1848-1849, aurait laissé ce royaume isolé, plusieurs familles régnantes italiennes étant proches de l’Autriche et le pape n’étant pas favorable à son action.
Tentation du repli identitaire
L’unité des États-Unis d’Amérique fut assurée, à la même époque, par la guerre de Sécession, qui dura de 1861 à 1865 et se solda par l’échec de la tentative des États du Sud de se séparer de l’Union. Si les Confédérés du Sud l’avaient emporté, les États-Unis d’Amérique, tels que nous les connaissons, n’existeraient pas.
Il y a des différences patentes entre la situation de l’Union européenne et celles décrites ci-dessus. Surtout, les Allemands et les Italiens formaient un peuple, qui était divisé en plusieurs entités étatiques, et dont l’unification, somme toute, paraît naturelle avec le recul. L’Union européenne est formée de peuples différents, ancrés dans l’histoire et s’étant souvent battus entre eux. Cependant, au lendemain des épouvantables guerres qui les ont dévastés et face au reste du monde et à ces États-continents
qui s’affirment sur la scène internationale, tels la Chine, l’Inde, la Russie, les États-Unis et, demain, le Brésil, les Européens ont entrepris une marche vers l’unité. Si elle connaît ses fragilités, accrues par une tendance des peuples au repli identitaire, ce cheminement vers l’unité n’en est pas moins puissant.
« America First » : quand l’allié devient l’ennemi.
Il se trouve confronté aujourd’hui à des défis, celui des migrations étant le plus visible actuellement, dont il sortira consolidé ou ébranlé. La construction européenne a toujours connu des crises et a progressé en les surmontant, mais ces crises étaient
de nature interne, entre ses composantes. Elle vivait la menace que faisait peser sur elle le bloc communiste, mais, par ailleurs, elle put se développer à l’abri du rideau de fer, avec le soutien et les encouragements de son « enfant » devenu la première puissance mondiale, les États-Unis d’Amérique.
Désormais, ce membre si proche, si intime de la famille atlantique, s’est retourné contre elle. Le président Trump, par ses diatribes tweetées, la vilipende comme « ennemie » de son « America first. » Il déclenche contre elle une attaque commerciale, qui peut se transformer en guerre. Grâce à l’extraterritorialité des lois américaines, il impose brutalement sa volonté aux entreprises européennes en se retirant de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Il n’hésite pas à critiquer l’OTAN, ce fondement militaire de l’alliance entre les États-Unis et l’Europe. Il essaie de jouer des différences entre les membres de l’Union européenne.
L’Union mise au défi
Ce qui est fondamentalement nouveau, c’est que le défi surgit d’un parent proche et qu’il est existentiel, car ce parent puissant préférerait régler ses rapports, de façon bilatérale, avec des États européens isolés. Ou l’Union saura unir ses forces, autour
d’un noyau dur, comme le couple franco-allemand (s’il tient face à la pression américaine), et résister victorieusement à l’attaque, car elle en a les moyens, et elle franchira un pas décisif vers l’unité. Ou elle cédera, perdra la bataille et risquera la
dislocation.
L’autre défi vient de la volonté de sécession du Royaume-Uni. Celui-ci s’étant toujours situé, par sa géographie, son histoire, ses intérêts, sur la marge du continent, l’unité de celui-ci pourra survivre à son départ. Toutefois, la façon dont l’Union saura relever ce défi, que la sécession aille à son terme ou non, sera là aussi déterminante pour la construction d’une Europe unie. Jusqu’à présent, l’Union a pris la posture adaptée face à ce défi. Il reste qu’elle devra la tenir. Les armes ne sont plus les mêmes qu’au 19e siècle, mais à nouveau, elles se sont mises à parler et dans les défis existentiels qui sont désormais posés à l’Union européenne, des similitudes apparaissent avec les unifications réalisées alors en Europe et en Amérique.
J’appartiens à ceux qui espèrent, sachant qu’il s’agit simplement d’un espoir, que l’Union surmontera victorieusement ces épreuves et consolidera son unification.
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L’AUTEUR
Cyrille Schott est préfet honoraire de région et ancien directeur de l’Institut national
des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).
Cyrille Schott est Délégué régional de l’AFDMA pour le Grand Est (Alsace)