Fin de partie pour Angela Merkel ?
9 octobre 2018
Quel gâchis ! Un an après les élections législatives, le gouvernement Merkel peine à trouver son rythme. Constituée en mars 2018, après quatre mois de tractations pénibles, la coalition réunissant comme auparavant la CDU de la chancelière Angela Merkel, la CSU bavaroise et le parti social-démocrate SPD avait ouvert la perspective d’un gouvernement solide et prudemment ouvert à de nouvelles avancées européennes, quoique sans grande ambition et manquant de souffle réformateur. Las ! Depuis sa formation, la coalition se distingue moins par son travail gouvernemental que par l’accumulation de polémiques politiciennes hallucinantes.
Premier acte : en juin/juillet, le ministre de l’Intérieur Horst Seehofer (CSU) monte un conflit surréel concernant un détail de la politique des réfugiés, avec des paroles musclées et tonitruantes aux confins des slogans de l’AfD national-populiste, et complètement déconnectées de la réalité (cf. sur Telos Drôle de crise en Allemagne).
Deuxième acte : en septembre, suite à la radicalisation de l’extrême droite qui s’est manifestée en Allemagne de l’est (violences dans les villes de Chemnitz et de Köthen), le chef des services secrets allemands, Hans Georg Maassen, insinue publiquement que les images de ces actes de violence pourraient être des fakes produits par la gauche. Ce faisant, non seulement il sort de l’obligation de réserve mais il se livre à des conjectures non fondées par les faits, s’opposant de surcroît frontalement à la chancelière. Ce n’est pas la première fois que ce haut fonctionnaire sort de son rôle et du devoir de neutralité. Aussitôt, le SPD demande son renvoi mais Horst Seehofer, son ministre de tutelle, l’assure de sa confiance et de son soutien. Nouvel affront direct contre la chancelière, nouvelle crise gouvernementale. Les trois chefs de parti trouvent un compromis foireux : Maassen est révoqué en tant que chef des services secrets, mais en même temps il sera promu secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur… Cette sanction-promotion provoque un vrai tollé dans l’opinion publique, ce qui contraint la chancelière et ses partenaires à réviser cette décision. Mais le mal est déjà fait. Ce manque total de sensibilité politique heurte le sentiment de justice d’une bonne partie des Allemands, et pose de sérieuses questions quant à la capacité d’écoute des dirigeants politiques, qui semblent agir dans une bulle, déconnectés des citoyens. Le crédit politique du gouvernement, à commencer par celui d’Angela Merkel, s’en trouve sérieusement entamé.
Dans ce contexte se produit le troisième acte : le 25 septembre, lors du renouvellement de sa direction, le groupe parlementaire CDU/CSU désavoue son président sortant Volker Kauder après treize ans de service, et cela malgré un appel chaleureux d’Angela Merkel en faveur de son lieutenant fidèle qui lui a toujours assuré le soutien du groupe. Une courte majorité se prononce pour un autre candidat, Ralph Brinkhaus. Ce camouflet infligé à Angela Merkel par ses parlementaires est un signe ouvert de sa perte d’autorité au sein de son propre camp.
Comment interpréter ces bourdes gouvernementales successives ? Elles sont d’abord le signe d’une crise d’orientation profonde du camp conservateur. Une fois de plus, la CSU en panique flirte avec un discours musclée de populisme de droite, dans le (vain) espoir de couper court à l’ascension de l’AfD qui la menace sur ses terres bavaroises, et au risque de faire éclater la coalition à laquelle elle participe pourtant. Ce faisant, elle rallume la fronde de l’aile droite de la CDU, qui conteste les choix centristes du gouvernement Merkel. C’est notamment le cas dans les Länder de l’est, où la CDU est sérieusement talonnée voire dépassée par l’AfD. Dans ces régions, certains de ses leaders prennent des attitudes équivoques, préférant souvent de fermer les yeux face à la radicalisation des mouvements d’extrême-droite. Angela Merkel paye le prix pour sa gestion gouvernementale qui a trop souvent imposé des infléchissements, voire des virages politiques par le haut, sans véritable débat préalable ni pédagogie politique. D’où un manque d’orientation et un sentiment d’incompréhension qui a gagné la CDU et ses députés, qui ne veulent plus être réduits à un rôle de godillot. S’y ajoute la demande de renouvellement du personnel politique. La chancelière en a partiellement tenu compte dans la composition de son gouvernement et par la promotion d’une femme politique jeune comme secrétaire générale de la CDU, mais elle a manifestement sous-estimé la volonté de renouvellement au sein du groupe parlementaire.
Plus généralement, le climat politique s’est détérioré avec l’affaire Maassen. Le capital de confiance du gouvernement, et de la classe politique entière, déjà mis à mal, s’est encore évaporé. Le sentiment que les politiciens sont déconnectés des soucis des citoyens ordinaires se répand, et il est savamment exploité par l’AfD. Ce parti n’hésite plus à s’allier aux groupes d’extrême-droite et néo-nazis, notamment dans les régions de l’est où il est particulièrement fort, et à cautionner plus ou moins ouvertement le climat de haine qui s’y répand. Jusqu’ici les partis modérés n’ont pas trouvé de riposte. La fermeté qu’ils opposent aux paroles et actes des extrémistes et national-populistes ne suffit pas pour les endiguer ; il manque une vraie capacité d’écoute à l’égard des citoyens qui se sentent abandonnés par les « élites ».
Angela Merkel sort affaiblie de cet été calamiteux. Elle devra mieux écouter son parti et l’impliquer davantage dans la politique gouvernementale. Mais n’est-il pas déjà trop tard ? La prochaine épreuve l’attend déjà début décembre lors des assises de la CDU. Angela Merkel pourrait perdre la présidence du parti. Elle souhaite s’y représenter mais risque une contestation ouverte, qui réclame le renouvellement à la tête du parti. Les scrutins en Bavière (14 octobre) et en Hesse (28 octobre), s’ils tournent mal, pourraient encore allumer la contestation interne, tout comme les sondages de plus en plus désastreux pour les partis du gouvernement. Ensemble, ceux-ci ont perdu 10 points depuis leurs (déjà piètres) résultats de 2017 et ne représentent plus la majorité des électeurs. Avec moins de 30%, la CDU/CSU affiche un score historiquement bas. Quant au SPD, en-dessous des 20%, il est désormais talonné par les Verts et l’AfD. Angela Merkel pourrait être contrainte d’abandonner le poste à la tête de la CDU pour sauver la chancellerie. Ce serait alors un pas de plus vers la fin de l’ère Merkel.
Certes, cette fin sur laquelle glosent bon nombre de commentateurs n’est pas imminente. Au sein de la CDU on est encore loin d’une fronde organisée contre Angela Merkel. À titre d’exemple, le nouveau chef du groupe est un modéré très proche de la ligne de la chancelière et loin de vouloir mener une révolte de palais. Sauf nouvelle mauvaise surprise venant de la part de la CSU bavaroise, devenue experte en la matière, Angela Merkel sera en mesure de faire avec la nouvelle situation au sein de son camp. Quant au SPD, il ne risque pas de faire éclater le gouvernement – il se retrouve bien dans le contrat de coalition, et lors les controverses récentes, Merkel a été plus proche des sociaux-démocrates que de la CSU.
Et si le gouvernement se mettait enfin à… gouverner, en s’attaquant aux grands problèmes qui attendent des réponses ? Logement, scandale du diesel et avenir de l’automobile, précarité, crèches, hospices, tournant énergétique, défi du numérique, politique migratoire et intégration des réfugiés reconnus : les dossiers d’urgence ne manquent pas. Ce serait le scénario rose pour la coalition : revenir au travail, convaincre les citoyens par une politique active qui apporte des solutions aux problèmes de la population, et regagner ainsi petit à petit la confiance perdue des électeurs. Le contrat de coalition contient un certain nombre de compromis qui pourraient être réalisés, et le bon état de l’économie et des finances publiques permettrait de les financer. Encore faut-il avoir la volonté commune d’abandonner une fois pour toutes les polémiques stériles pour retourner à un travail sérieux (question qui se pose surtout à la CSU bavaroise), et démontrer sa capacité de trancher les conflits d’intérêt présents dans certains dossiers épineux.
Pourtant, c’est un scénario plus gris qui se dessine. Trop affaiblie, Angela Merkel n’a plus l’énergie ni le leadership pour mener une politique plus courageuse. Trop complexes, la plupart des dossiers ne permettront pas de solutions claires aux effets positifs immédiats. Trop discrédités aux yeux des électeurs, la chancelière et son gouvernement ne seront plus en mesure de reconquérir l’opinion même par une bonne politique. On aura alors droit à une gestion gouvernementale au mieux solide, qui fera le nécessaire pour parer aux problèmes urgents, sans plus. L’heure sera aux petits arrangements plutôt qu’aux grands dessins. Aux yeux du public, Angela Merkel n’est plus la personne qui pourrait incarner un nouvel élan, ni pour le pays ni pour son propre parti. On attendra surtout d’elle de préparer sa propre succession dans la perspective des législatives de 2021. D’ici là, l’Allemagne risquera de faire du surplace, vivant sur la solidité de son économie mais sans vraiment préparer l’avenir du pays ni donner de nouvelles impulsions européennes.