La Lettre d’information n° 55. Juillet 2023
LA LETTRE D’INFORMATION
sur les relations franco-allemandes et l’Allemagne
N° 55. Juillet 2023.
Responsable de la rédaction : Bernard Viale.
Délégué à la « Communication ».
Le mot du Président
Chers membres de l’AFDMA, chers amis,
Le 22 janvier 2023, nous avons fêté le 60ème anniversaire du Traité de l’Elysée. Même si certaines manifestations ont été quelque peu occultées dans la presse par la guerre en Ukraine et les évènements de politique intérieure française, ce fut l’occasion de rappeler le chemin parcouru et de renforcer la relation de confiance entre nos deux pays. Nous ne pouvons que regretter que la visite d’Etat du Président de la République a dû être annulée du fait des événements qui pourraient presqu’ être qualifiés d’insurrectionnels, tant les attentes sont grandes pour une véritable relance des relations entre nos deux pays.
Le 5 juillet prochain, nous fêterons les 60 ans de ce que d’aucuns considèrent comme « le plus bel enfant » du Traité de l’Elysée : l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ). Fruit de la vision du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer et de leur volonté de confier à la jeunesse la mise en œuvre de la réconciliation entre nos deux pays et de jeter les bases de leur coopération, l’OFAJ a permis au fil des ans à 9,5 millions de jeunes de se rencontrer, d’apprendre à se connaître et à s’apprécier, et de nouer des relations durables de confiance et de solidarité. Ces échanges ont été et sont encore pour beaucoup de jeunes l’occasion de se confronter à une autre culture, d’acquérir des compétences linguistiques et interculturelles qui feront d’eux les futurs citoyens européens.
L’OFAJ et ses partenaires ont su s’adapter aux besoins de mobilité des jeunes et à leurs exigences de développement personnel en offrant une large palette d’activités, favorisant l’apprentissage de la langue du partenaire, la formation professionnelle,l’éducation à la citoyenneté et l’engagement volontaire, la protection de l’environnement, la transition numérique, la mobilisation pour l’Europe… Dans ce contexte, il soutient un nombre important d’échanges avec des pays tiers, particulièrement de l’Europe centrale et orientale ainsi que des Balkans occidentaux. Ses initiatives ont servi de référence à la création de l’Office germano-polonais pour la jeunesse en 1991, plus récemment de l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux (RYCO) en 2016 et de l’Office germano-grec pour la jeunesse en 2019 : une belle réussite.
Les échanges « présentiels » ont bien sûr souffert de la pandémie, mais les relations ont bien résisté et nos deux gouvernements soutiennent un plan de relance qui devrait permettre à l’OFAJ de retrouver rapidement son niveau antérieur d’activité.
L’AFDMA, soucieuse d’apporter sa pierre à l’édifice de l’amitié, de la coopération entre nos deux pays et de la construction européenne, souhaite un excellent anniversaire et longue vie à l’OFAJ !
Bien cordialement,
Général (2S) Bertrand Louis Pflimlin
Président
Sommaire :
– Le mot du Président.
– P. 3 : Publications : La relation franco-allemande, malgré tout…
Claire Demesmay, Paul Maurice, Hans Stark, Jérôme Vaillant.
– P. 9 : Quels projets franco-allemands d’équipements militaires communs?
Interview du Colonel J-P Kieffer.
– P. 11: Les échanges franco-allemands de jeunes : Il est des 1ères fois qui comptent plus que d’autres.
Par Bernard Viale.
– P. 15 : Germanitude. Par Pierre-Henri Ledru.
– P. 16 : Le passe France-Allemagne
– P. 17 : Les manifestations franco-allemandes à la Maison Heinrich-Heine.
– La vie de l’AFDMA.
Publications
Durant les mois passés, nous avons publié un certain nombre d’articles sur notre site internet www.afdma.fr que nous ne reprenons pas dans cette « Lettre d’information ». Vous les retrouverez en page d’accueil dans le « carrousel d’articles d’actualité » ou « En direct du franco-allemand ».
Rendez-vous sur www.afdma.fr !
La relation franco-allemande, malgré tout…
Par Claire Demesmay, Paul Maurice, Hans Stark, Jérôme Vaillant.
Le 23 janvier 2023, la France et l’Allemagne ont célébré le 60e anniversaire du Traité de l’Élysée, c’est l’occasion pour nous d’analyser l’état des relations entre les deux pays et l’apport du Traité d’Aix-la-Chapelle qui est venu compléter celui-ci en 2019. Il ne s’agit pas dans ce dossier de reprendre les acquis et les évolutions du traité de 1963,nous renverrons à la fin de cette introduction à quelques dossiers qui ont fait ces dernières décennies le point sur ces questions dans la revue mais de rappeler quels sont aujourd’hui les instruments opérationnels de la coopération franco-allemande, de s’interroger sur la place des jeunes en son sein ainsi que sur l’importance des sociétés civiles pour son développement en s’interrogeant en particulier sur ce que nous dit la question de l’enseignement de la langue du
pays partenaire sur l’état des relations entre les États et les sociétés. Une troisième partie cherche à faire le point sur les domaines où la coopération s’affirme tout en restant difficile soit dans les domaines des cultures économiques, commerciales, énergétiques et militaires. Il s’agira là de vérifier si, malgré les différences qui subsistent, une volonté perdure de trouver les compromis créatifs susceptibles d’entraîner l’adhésion des autres pays de l’Union européenne.
L’institutionnalisation de la coopération franco-allemande
Le Traité de l’Élysée de 1963 a permis d’institutionnaliser la relation franco-allemande née de la réconciliation dans l’immédiat après-guerre. Néanmoins, depuis sa mise en place il y a soixante ans, le Traité de l’Élysée n’a pas été une structure figée. À l’occasion des 25 ans du Traité, le 22 janvier 1988, le Protocole additionnel a permis la mise en place de nouvelles structures de concertation, telles que le Conseil Franco-allemand de Défense et de Sécurité (CFADS), la Brigade franco-allemande (BFA), le Conseil Économique et Financier franco-allemand (CEFFA), le Conseil Franco- allemand de l’Environnement (CFAE) ou le Haut Conseil Culturel Franco-Allemand (HCCFA). L’étroite association institutionnelle et politique entre la France et l’Allemagne a été renforcée par la déclaration commune franco-allemande à l’occasion du 40e anniversaire de la signature duTraité de l’Élysée le 22 janvier 2003, qui prévoit la création du Conseil des ministres franco-allemand (CMFA) et la désignation dans chaque pays d’un Secrétaire général pour la coopération franco-allemande (SGCFA). Les Secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande sont rattachés personnellement à la chancelière allemande et au premier ministre français et doivent coordonner la préparation et le suivi des décisions politiques ainsi que le rapprochement des deux pays dans les instances européennes. Ceci explique pourquoi il s’agit des Secrétaires d’État ou ministres délégués en charge des questions européennes. Ils sont assistés d’un adjoint du pays partenaire qui est intégré à leur cabinet. La particularité de ces Secrétaires généraux adjoints pour la coopération franco-allemande est qu’ils sont des diplomates d’échange de l’autre pays. La coopération institutionnelle franco-allemande a permis non seulement des échanges de diplomates au sein des services des ministères des Affaires étrangères, mais aussi au niveau des cabinets des Secrétaires d’État, révélant l’étroite coopération ainsi que l’étroite confiance dans la coopération diplomatique entre la France et l’Allemagne.
Cette coopération est également institutionnalisée à l’échelle des parlements avec la création de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) en 2019. Celle-ci se compose de 100 membres, dont 50 députés du Bundestag allemand et 50 députés de l’Assemblée nationale, qui doivent se réunir au moins deux fois par an, alternativement en Allemagne et en France. Elle a pour objectif d’interconnecter les travaux du Bundestag et de l’Assemblée nationale. L’Assemblée parlementaire franco-allemande a pour mission de veiller à l’application du traité de l’Élysée du
22 janvier 1963, du traité d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019, ainsi qu’à la mise en œuvre et à l’évaluation des projets qui en découlent. De plus, cette Assemblée a l’ambition d’accompagner les conseils des ministres franco-allemands et de faire émerger ses propres initiatives de coopération franco-allemande en Europe.
La coopération institutionnelle a en effet connu un nouveau souffle lors de la signature le 22 janvier 2019, à l’occasion du 56e anniversaire du Traité de l’Élysée, d’un nouveau Traité de coopération et d’intégration franco-allemande à Aix-la- Chapelle. Le Traité d’Aix-la-Chapelle a donné un cadre au renforcement de la coopération institutionnelle en définissant quinze projets prioritaires – auxquels ont été ajoutés de nouveaux projets lors du Conseil des ministres franco-allemand du 31 mai 2021. Ces projets visent notamment à faire converger les diplomaties des deux pays et à renforcer l’intégration économique, mais ils insistent surtout sur la société civile et le renforcement des liens de part et d’autre de la frontière, notamment dans l’espace transfrontalier. Le Traité d’Aix-la-Chapelle prévoit la création du Fonds citoyen franco-allemand confiée à l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ). Son objectif est d’apporter un soutien financier à des projets de toutes tailles émanant d’acteurs de la société civile. Si l’OFAJ se voit souvent qualifié de « plus bel enfant du traité de l’Élysée », le bilan que le Fonds citoyen franco-allemand a su mettre à son actif n’a pas tardé à lui valoir le titre de « plus bel enfant du traité d’Aix-la-Chapelle». Le Traité d’Aix-la-Chapelle a enfin pris en compte les enjeux du transfrontalier dans l’avenir de la relation bilatérale franco-allemande. Le Comité franco-allemand de coopération transfrontalière (CCT) a été institué à l’article 14 du traité d’Aix-la-Chapelle et s’est constitué le 22 janvier 2020. Son objectif est de créer une capacité de décision accrue pour la coopération transfrontalière en impliquant tous les acteurs concernés à tous les niveaux fédéraux et administratifs des deux côtés de la frontière.
Si le rapprochement franco-allemand a permis l’intégration des États dans une communauté – devenue Union – européenne, il ne faut pas oublier que ses « pères fondateurs » à l’image de Robert Schuman, étaient des « hommes des frontières ». L’institutionnalisation de la coopération franco-allemande pour les régions transfrontalières montre qu’elles sont des laboratoires pour l’intégration européenne.
Le rôle essentiel des sociétés civiles
Des années avant la signature du traité de l’Élysée, la société civile a joué un rôle de précurseur dans le rapprochement, puis dans la réconciliation franco-allemande. D’abord timide, se heurtant à de fortes résistances, ce mouvement a pris progressivement de l’ampleur, conduisant à tisser entre les deux pays un filet humain particulièrement solide.
Puisqu’il s’agissait d’écrire un tout nouveau chapitre de la relation franco-allemande, il était logique que ces efforts portent en priorité sur les nouvelles générations. Ce principe des échanges entre jeunes Français et Allemands, qu’elles aient lieu dans le cadre de rencontres organisées par des associations ou de jumelages de villes, les dirigeants des deux pays décidèrent de l’institutionnaliser en créant en juillet 1963 l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), afin de systématiser des échanges qui étaient jusqu’alors le fruit d’initiatives personnelles et associatives. La normalisation de la relation bilatérale à laquelle ont contribué ces échanges est un succès indéniable, dont d’autres pays sont tentés de s’inspirer – à l’image des États des Balkans occidentaux –, mais en même temps, elle contraint aujourd’hui leurs organisateurs à faire évoluer les offres en les adaptant aux attentes des nouvelles générations. Ainsi, les jumelages sont confrontés au défi du renouvellement générationnel et doivent inventer de nouveaux formats afin de se renouveler. De même, l’OFAJ met désormais l’accent sur des thématiques nouvelles, comme le développement durable, et ouvre certains de ses programmes à des pays du voisinage européen. Dans ce contexte, la baisse continue de l’apprentissage de la langue du pays partenaire et les difficultés à recruter des professeurs d’allemand en France posent problème, dans la mesure où les compétences langagières permettent non seulement de communiquer, mais aussi de réaliser des expériences interculturelles qui peuvent s’avérer déterminantes dans la vie des jeunes. Dans ce domaine comme dans d’autres, le « franco-allemand » est appelé à faire preuve de créativité, à expérimenter et à faire bouger les lignes. C’est à ce titre que, soixante ans après le traité de l’Élysée, il pourra à nouveau innover en étant le laboratoire d’une Europe plurilingue et pluriculturelle. Parmi les enseignants d’allemand en France, deux « philosophies » semblent se développer sur la nature même du combat à mener pour le développement de l’enseignement de l’allemand : réclamer, au besoin, devant les tribunaux, les avantages qui revient à l’enseignement de l’allemand au titre des traités franco-allemands ou bien placer le développement de l’allemand dans un cadre européen qui dépasse les rivalités entre langues étrangères concurrentes.
Surmonter des divergences nées de cultures politiques, économiques et financières différentes.
Les mois qui ont précédé les célébrations de janvier 2023 ont vu les crispations qui existent depuis toujours entre Paris et Berlin atteindre en France un niveau inquiétant au point que l’on pouvait se demander s’il s’agissait de plus qu’une mauvaise passe ?
Ces crispations étaient-elles l’expression de divergences fondamentales ou bien les médias en ont-ils exacerbé l’importance jusqu’à retrouver de vieux accents germanophobes ? Assurément, les divergences ne manquaient pas : qu’il s’agisse du retour au respect des règles budgétaires fixées à Maastricht et confirmées durant la crise de la zone euro des années 2010-2015, de l’impact de la décision allemande de sortir du nucléaire en matière de politique climatique et énergétique aussi bien de l’UE que de la France et de l’Allemagne en particulier, des rapports avec la Chine (avec l’enjeu de Taïwan), de la politique de réarmement lancée depuis l’agression russe contre l’Ukraine, de l’objectif d’une autonomie stratégique européenne, de la nature des liens transatlantiques et donc du rôle de la défense européenne au sein de l’OTAN : sur toutes ces questions essentielles pour l’avenir de l’Europe au-delà des seules relations franco-allemandes, divergences, désaccords et mésententes entre la France et l’Allemagne persistent. Dresser un constat aussi critique ne veut pourtant nullement dire que le « couple » franco-allemand a cessé d’exister. Le chemin à parcourir pour trouver des compromis ne pourra être, une fois de plus, que long. Rappelons que cela n’a rien de particulier. Sans remonter jusqu’au préambule que le Bundestag a voté en 1963 pour permettre la ratification du Traité de l’Élysée en Allemagne – qui, ne l’oublions pas, avait déjà montré la persistance de désaccords fondamentaux sur l’ordre de sécurité européen – force est de constater qu’à de très nombreuses reprises, aussi bien durant la Guerre froide qu’après la fin du conflit Est-Ouest – la France et l’Allemagne ont eu des positions différentes sur les grandes questions géopolitiques du moment. Pourquoi serait-ce différent en 2023, d’autant que nous vivons une remise en question fondamentale des équilibres stratégiques en raison de la guerre russe contre l’Ukraine, de la montée en puissance de la Chine et de l’incertitude qui caractérise le devenir politique des États-Unis ? On peut souligner que des changements tectoniques de grande ampleur affectent aujourd’hui l’équilibre mondial et européen. Quoi de plus normal que de constater que face à ces enjeux majeurs, la France et l’Allemagne ne réagissent pas à l’unisson. La presse, toujours prompte à scruter les moindres désaccords entre nos deux pays et à dénoncer les « ratés » du moteur franco-allemand, a tendance, par réflexe, à penser le monde à travers le prisme de l’instantané, à ne jamais tenir compte du temps long et des leçons du passé. Aussi iuge-t-elle les difficultés qu’éprouvent Olaf Scholz et Emmanuel Macron à se trouver comme la preuve d’une rupture, voire d’une césure. Ce qui n’est pas du tout assuré. Certes, le très hanséatique chancelier n’a pas la même façon de s’exprimer que le président français pour qui le verbe est un instrument politique de premier choix. Mais on devrait se souvenir, avant de conclure que le « franco-allemand » a vécu, des énormes difficultés de De Gaulle, six ans durant, à trouver un terrain d’entente avec les chanceliers Erhard et Kiesinger. La période 1969-1974 fut également riche en sous-entendus (sinon malentendus) entre Pompidou et Brandt. Kohl et Mitterrand ont mis trois ans pour former un « couple » devenu aujourd’hui si mythique : pourtant ils ont tous deux également connu bien des tensions au sujet du désarmement nucléaire Est-Ouest, du lancement de la monnaie unique, de l’unification allemande et de la guerre en Yougoslavie. Chirac et Schröder ont mis quatre ans pour former une sorte de tandem grâce à la guerre en Irak. Quant à Merkel, elle a eu à faire avec quatre présidents français distincts, et fut confrontée à la difficulté d’un éternel recommencement. Il n’est donc pas étonnant que dans le contexte de crise actuel, le chancelier et le président de la République peinent encore à accorder leurs violons. En même temps, tous les deux sont favorables à la coopération franco-allemande et à l’intégration européenne. S’ils divergent encore sur la voie à suivre pour y parvenir, ils s’entendent sur l’objectif à atteindre. Le chemin est sans aucun doute semé d’embûches. La France a tort de soupçonner l’Allemagne de déplacer l’axe central du pouvoir européen vers l’Est. Si Berlin était tenté par cette voie, elle devrait se rapprocher de la Pologne, chose impossible étant donné les rapports tendus entre Berlin et Varsovie et l’attitude ouvertement antiallemande de la coalition de droite au pouvoir en Pologne. En revanche, la menace que le révisionnisme russe et le « néo-impérialisme » du régime poutinien font peser sur les frontières orientales des pays centre-européens, de la Roumanie, en passant par la Pologne jusqu’aux Pays baltes – un espace qui est géographiquement proche des frontières allemandes – oblige la République fédérale à se focaliser sur la défense territoriale dans le cadre de l’OTAN et à se rapprocher des États-Unis. Il est de ce fait compréhensible que l’Allemagne comble ses déficits en matière d’équipement militaire en optant pour des achats d’armements immédiatement disponibles et à même d’assurer l’interopérabilité entre les armements de la Bundeswehr et ceux des pays membres de l’OTAN. L’Allemagne se doit de combler ses retards en matière de défense au plus vite – d’autant qu’elle cède des armements et des munitions conséquents à l’Ukraine (après les États-Unis et la Grande-Bretagne, l’Allemagne est le troisième pays fournisseur d’armements à l’Ukraine). La loi de programmation militaire actuellement discutée en France nous rappelle, soit dit au passage, que la France et son armée connaissent des difficultés équivalentes. Cette situation profite assurément au complexe militaro-industriel américain et retarde le décollage de l’industrie de défense européenne, mais, confrontées à une guerre à ses portes, l’Europe et l’Allemagne font les choix qui en découlent.
Sur les questions de la gouvernance budgétaire européenne, on retrouve les clivages traditionnels. Pour la France, dont la dette avoisine les 120 % du PIB, les règles de Maastricht ne sont plus tenables. Pour l’Allemagne, c’est la dette française qui n’est pas tenable et non pas les règles budgétaires. La commission européenne est à la recherche d’un compromis acceptable pour les deux parties, mais celui-ci est d’autant plus difficile à trouver que les pays du sud de l’UE se regroupent autour de la France et les pays du nord autour de l’Allemagne. Ce n’est pas franchement nouveau. Que le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, s’érige en gardien de l’orthodoxie budgétaire européenne s’explique aussi par la série de déconvenues électorales que son parti, les Libéraux (FDP), essuient depuis 2022 lors des élections régionales. À cela s’ajoute vraisemblablement le fait que ses électeurs regrettent au fond la participation du FDP à la coalition avec le SPD et les Verts. Cela fige la marge de manœuvre du chancelier qui ne peut pas désavouer son partenaire libéral sans l’affaiblir.
Le nucléaire restera pour longtemps le domaine le plus controversé dans le franco-allemand. La France voudra faire admettre par l’Union européenne que le nucléaire est une énergie verte assurant l’indépendance de l’Europe en matière énergétique. La France, par ailleurs, ne peut se passer de sa coopération avec le partenaire russe de Rosatom pour le transport de l’uranium naturel et ses importations d’uranium enrichi : cela soulève la question de son indépendance énergétique. Côté allemand, la sortie du nucléaire semble irréversible tant elle fait partie de l’ADN des Verts mais aussi du SPD. D’où la quadrature du cercle à laquelle se heurte l’économie allemande : sortir du nucléaire et de l’énergie fossile tout en faisant bénéficier son industrie et les consommateurs allemands d’une énergie à un coût encore acceptable. En un temps record, l’Allemagne s’est dotée de terminaux pour pouvoir importer du gaz liquéfié. La question reste posée de savoir comment le socle industriel sur lequel repose l’économie allemande assumera cette mue. Quoi qu’il en soit, la France et l’Allemagne sont engagées sur deux voies distinctes en matière de politique énergétique.
Sur la Chine enfin les divergences sont plus apparentes que réelles. Elles traduisent une réflexion en cours (qui d’ailleurs se poursuit à l’échelle européenne avec la même intensité) et toute réflexion en démocratie s’accompagne d’un débat contradictoire. Aussi, en octobre 2022, le déplacement en Chine d’Olaf Scholz (peu de jours après la clôture du XXe congrès du parti communiste chinois où Xi Jinping s’est arrogé un troisième mandat à la tête de l’État) a suscité de fortes critiques en France, d’autant que ce déplacement s’est accompagné d’une ouverture du port de Hambourg (ville dont Scholz fut, autrefois, le maire) à l’entreprise chinoise Cosco. Sept mois plus tard, en avril 2023, c’est au tour du président français de se déplacer en Chine. Dans l’avion qui le ramenait à Paris, c’est sur le dossier taïwanais qu’Emmanuel Macron a eu des mots qui ont surpris Berlin, reprenant un argumentaire chinois en estimant que le piège pour l’Europe serait qu’elle soit prise dans un dérèglement du monde et des « crises qui ne seraient pas les nôtres » et que « nous ne devons pas être suivistes sur Taïwan, sur le rythme américain et sur la réaction chinoise ». Pour l’Allemagne, qui s’est fortement rapprochée des États-Unis dans le dossier ukrainien, cette prise de parole fut considérée comme un acte de déloyauté à l’égard de Washington. La réponse allemande ne s’est pas fait attendre : le 9 mai 2023, dans un discours devant le Parlement européen, Olaf Scholz s’est explicitement opposé à l’idée que le monde puisse être divisé en blocs bipolaires ou tripolaires. La première est sans doute l’option développée à Washington et à Pékin ; la seconde semble inspirer le concept de Macron pour un nouveau concert des puissances, cette fois-ci mondial, au sein duquel l’Europe jouerait le rôle d’une puissance à part. Le chancelier a plutôt plaidé pour une Europe qui ne cherche pas sa place en opposition à d’autres pays, mais qui aspire à des partenariats « d’égal à égal » avec d’autres États, notamment en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique – tout en continuant bien sûr à considérer les États-Unis comme son « principal allié ». Cela aussi peut être compris comme une démarcation par rapport au discours de Macron sur le troisième pôle, l’autonomie stratégique européenne et le risque d’une prétendue vassalité de l’Europe vis-à-vis de l’Amérique dans le dossier taïwanais. Ces nuances sont de taille ! Mais elles n’empêchent pas que Paris et Berlin cherchent l’un comme l’autre à maintenir une relation de travail constructive avec la Chine, qui diminuerait les risques de dépendance (c’est le concept du « de-risking ») tout en développant les relations commerciales avec elle.
La relation entre la France et l’Allemagne a besoin d’être entretenue, soignée. Le dialogue franco-allemand demeure indispensable car les deux pays n’ont pas spontanément la même approche face aux enjeux auxquels ils se heurtent pourtant tous les deux. Assistant début mai à un conseil de ministres à Paris, la ministre allemande des Affaires étrangères, Analena Baerbock, a pris la parole en français indiquant ainsi la voie à suivre. Emmanuel Macron, qui est loin d’être un partenaire commode pour Berlin, a fait de multiples ouvertures en direction de l’Allemagne. À Scholz et Baerbock, Pistorius et Habeck de s’ouvrir à leur tour au partenaire français. En espérant que l’Allemagne ne le fera pas attendre comme l’a fait A. Merkel tout au cours de son dernier mandat. Malgré leurs différences sur les grandes questions stratégiques du moment, les deux pays partagent un très grand nombre d’intérêts et de projets communs sur lesquels ils doivent continuer à bâtir une relation bilatérale privilégiée. Au-delà des divergences qu’engendrent leurs cultures différentes, l’Allemagne et la France doivent pouvoir s’entendre dans leur intérêt et dans celui de l’Europe, même s’il faut prendre du temps.
C. Demesmay est Cheffe du Bureau « formation interculturelle » à l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ).
P. Maurice est Chef de la mission franco-allemande et adjoint à la sous-directrice de l’Allemagne, de l’Europe Alpine et Adriatique à la Direction de l’Union européenne du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
H. Stark est Professeur de civilisation allemande à Sorbonne Université, membre du centre de recherches Sorbonne – Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe), conseiller pour les relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
J. Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande de l’Université de Lille, il est
membre associé du Centre d’études en civilisations, langues et lettres étrangères et rédacteur en chef de la revue « Allemagne d’aujourd’hui ». Il est délégué régional de l’AFDMA pour les Hauts-de France.
Article paru dans le dernier n° de la revue « Allemagne d’aujourd’hui » (avril – juin 2023)
Quels projets franco-allemands d’équipements militaires communs ?
Interview du Colonel Jean-Paul Kieffer
Mon Colonel, votre formation est celle d’un officier de Cavalerie : Saint Cyr, École de cavalerie de Saumur, alternance service en régiments, en État-major et en Écoles. Officier de liaison à l’École des blindés de la Bundeswehr (Kampftruppenschule II à Munster en Basse-Saxe), Commandement du 1er régiment de Chasseurs, État-major de l’Armée de terre, Attaché militaire à l’Ambassade de France à Vienne et enfin membre permanent du Conseil franco-allemand de Défense et de Sécurité. Vous avez ainsi acquis une expérience de l’intérieur des relations militaires franco-allemandes et des négociations entre les deux pays en matière de défense. Votre expérience vous a conduit à porter un regard sceptique voire pessimiste sur les projets franco-allemands d’équipements militaires communs. Pourquoi ?
Toute coopération en matière d’armement est compliquée, chaque pays a sa culture, son expérience, chez les militaires comme chez les industriels. On espérait dans les années 50-60 que des intérêts communs, un ennemi soviétique commun, permettraient de surmonter les difficultés. Il n’en a rien été. Les projets de char franco-allemand ont tous échoué (comme les projets germano-américains). Pour équiper son armée de l’air en chasseurs, l’Allemagne a toujours choisi des avions américains ou européens (Eurofighter sans la France, malgré la désastreuse expérience du Starfighter. Seuls l’hélicoptère d’attaque UHU, le Transall puis l’A 400 M furent de relatifs succès. Il convient donc d’être extrêmement prudent devant tout nouveau projet tant qu’il repose uniquement sur des déclarations politiques.
Pourtant après le discours du chancelier allemand sur le « changement d’époque » (Zeitenwende) vous avez déclaré que c’était ce que vous attendiez depuis des décennies.
Quelles étaient ces attentes ?
La guerre en Ukraine constitue indéniablement un changement d’époque. Le discours du chancelier allemand pouvait laisser espérer que l’Allemagne allait jouer pleinement son rôle de partenaire de l’Union européenne et de l’OTAN. Que les Européens, constatant le désengagement relatif des États-Unis, allaient mettre leurs moyens en communs pour acquérir, grâce notamment à un moteur franco-allemand fort, une indépendance en matière d’armement qui pourrait à terme constituer la base d’une défense européenne.
Depuis, ne voyant rien venir concrètement malgré des déclarations d’intention sur le char et l’avion du futur vous avez l’impression d’une régression. Qu’est-ce que la France et l’Allemagne devraient faire pour s’engager elles-mêmes plus avant sur la voie d’une politique commune en matière d’équipements militaires ?
Pour ce qui concerne l’aéronautique, le problème est réglé, les Allemands ont choisi américain, chasseur F35 et hélicoptère APACHE ou son successeur. Pour les chars, le projet initialement franco-allemand MGCS (Main ground combat system) à vocation européenne n’avance guère et le projet E-MBT (Tourelle Leclerc/Caisse Léopard 2) a peu de chances d’aboutir, la chaîne française de fabrication étant arrêtée depuis 15 ans. La coopération Nexter Systems – Krauss Maffei Wegmann Rheinmetall ne fonctionnera qu’avec de fortes pressionspolitiques. La partie allemande n’y semble pas disposée. Si les déclarations qui ont suivi le sommet de janvier ont à nouveau paru rassurantes, il n’en reste pas moins que jamais lors de rencontres internationales le chancelier n’a prononcé le nom de la France.
La responsabilité de cette situation est-elle imputable plus à un pays qu’à l’autre ? Incombe t-elle aux États ou également aux entreprises privées de l’armement ? Est-ce dans le domaine de la défense aérienne que les dissonances sont les moins conciliables ?
Difficile d’attribuer une responsabilité. Pour les chars, les problèmes sont apparus dès le départ au début des années 60. Les firmes allemandes ont progressé très vite et proposé comme elles en ont conservé l’habitude, un prototype qui a été très rapidement mis en service. Dans le projet les Français devaient se consacrer plus particulièrement à la tourelle et les Allemands à la caisse. Indépendamment du fait que le Léopard 1 avait une excellente caisse et l’AMX 30 une tourelle très performante, il existait un écart de près de dix ans dans la mise en service, un écart qui n’a jamais pu être comblé. Si Madame Merkel ne s’est guère intéressée à la Bundeswehr, les firmes ont continué à travailler et le Léopard 2 A 7 est très différent du modèle conçu il y a trente ans.
Pour ce qui concerne la défense aérienne, les choix allemands sont faits et irréversibles à court et moyen terme. La coopération et la coordination sont compliquées par le fait qu’il n’y a pas en Allemagne d’équivalent de la Délégation Générale pour l’Armement. Ce sont les firmes, entreprises privées et relativement indépendantes, qui fabriquent et proposent des prototypes. C’est le cas du prototype KF 51 Panther que Rheinmetall se dit en mesure de construire en Ukraine dans un délai de 18 mois, si accord du gouvernement allemand.
La France et l’Allemagne peuvent-elles s’entendre sur une stratégie nucléaire commune dans le cadre de ce que la France souhaite en matière d’« autonomie stratégique européenne » ?
Les Allemands ne croient pas à « l’autonomie stratégique européenne » et certains ne la souhaitent pas, considérant même que la France, puissance nucléaire, y voit le moyen de peser sur la politique du continent européen. Au-delà de déclaration lénifiantes, l’Allemagne reste persuadée qu’il n’y a point de salut en dehors de l’Otan. Un désaccord de plus de soixante ans entre nos deux pays. Par ailleurs il a toujours été considéré que la puissance nucléaire, ultime moyen de dissuasion ne se partageait pas. Et pourquoi l’Allemagne seule ? Et les autres européens ? Qui prendrait la décision de tir ?
Entretien réalisé en avril 2023 par Jérôme Vaillant et Hans Stark. Paru dans le dernier n° « d’ Allemagne d’aujourd’hui », avril – juin 2023.
Les échanges franco-allemands de jeunes :
Il est des 1ères fois qui comptent plus que d’autres…
Par Bernard Viale
Le franco-allemand, pour moi, c’est une belle et longue histoire…Il m’arrive de dire que j’y suis tombé dedans quand j’étais tout petit, parodiant ainsi Obélix et la potion magique.
A vrai dire, la naissance de ma passion et de mon engagement n’est certainement pas un phénomène unique, mais, comme souvent, le produit de plusieurs facteurs.
D’abord le fait d’avoir choisi l’allemand pour 1ère langue : à l’issue d’études primaires dans une petite ville du Sud de la France, le directeur de mon école a vivement conseillé à mes parents de m’inscrire en internat en 6ème au meilleur lycée du Département, avec latin et allemand 1ère langue. Ce qui fut fait en octobre 1958 et a signifié pour moi un long calvaire de 8 années, enfermé toute la semaine dans un univers quasi carcéral les premières années, où je ne voyais le ciel depuis la salle d’étude qu’à travers de grandes grilles…Mais c’est une autre histoire.
Le vœu de mon père
Cet apprentissage de l’allemand correspondait au vœu de mon père, qui avait dû partir en 1944 à 18 ans au STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne, sous la pression de sa mère et de ses sœurs, qui craignaient que ce ne soit leur mari ou père qui soit réquisitionné. Ce sacrifice filial s’était accompagné de grandes souffrances du fait du froid, de la faim, de la pénibilité des tâches (creuser des tombes en plein hiver à Kassel), de la peur des bombardements (travail dans l’usine BMW à Munich, objet d’incessantes attaques aériennes). Un sentiment d’angoisse qui ne lâchera plus jamais mon père. Malgré cela, je ne l’ai jamais entendu proférer des propos haineux par rapport aux Allemands. Il regrettait de ne pas avoir eu la possibilité de communiquer avec eux, du fait de sa méconnaissance de la langue et n’assimilait pas tous les Allemands aux Nazis. Ayant traversé l’Allemagne dévastée et vécu en zone d’occupation pendant son service militaire, il lui arrivait même d’exprimer une certaine admiration pour ce peuple, qui avait aussi tant enduré et réussi en un temps record à reconstruire son pays en ruines. A son retour, persuadé que la France et l’Allemagne devraient avoir un destin commun, il s’était promis que, s’il avait un fils, il apprendrait l’allemand et, quand il aurait 18 ans et le permis de conduire en poche, il retournerait en Allemagne avec lui comme chauffeur-interprète. Ce qui fut fait en 1967. Notre itinéraire nous emmènera sur les lieux où il avait séjourné, parfois sans les retrouver du fait de leur destruction par les bombardements, mais j’ai aussi profité de l’occasion pour faire découvrir à mes parents une Allemagne conviviale et accueillante, que ce soit en Haute-Bavière, dans la vallée du Rhin…Un voyage inoubliable.
Mon 1er échange franco-allemand : Bad Breisig, juillet 1964
L’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ), dont on fête les 60 ans cette année, a été créé dans le cadre du Traité de l’Elysée de janvier 1963.
En 1964, les premiers échanges franco-allemands de jeunes soutenus par l’OFAJ ont commencé. Pendant les vacances et aussi les samedis soir et le dimanche, je fréquentais assidûment le Foyer Léo Lagrange de ma petite ville, lieu de rencontre des jeunes. J’y ai découvert un jour une information sur un camp de jeunes l’été dans la vallée du Rhin, à Bad Breisig, près de Coblence : 4 semaines, un coût très modeste, l’occasion de partir en vacances sans mes parents pour une bonne raison (l’apprentissage de la langue), de découvrir de nouvelles libertés et de nouveaux horizons.
Il est des 1ères fois qui comptent plus que les autres, celle–là en fait partie.
Je n’avais pas encore 16 ans, quand, en cet été 1964, je pris, tout seul et pour la 1ère fois de ma vie le train, de la gare Matabiau de Toulouse à Paris. Un voyage interminable par grosse chaleur, à 8 dans un compartiment de 2ème classe avec des arrêts à Uzerche, Limoges… Je n’étais bien sûr jamais encore allé à Paris et arrivé à la gare d’Austerlitz, je devais rejoindre un groupe dans la soirée à la gare du Nord. Le stress. Prendre le métro ? Après m’être renseigné, j’ai découvert un autobus Austerlitz – gare du Nord que je m’empressais de prendre. Après quelques heures tuées dans cette immense gare, l’immense bonheur de voir arriver une personne avec un panneau « Léo Lagrange » et, subitement, des jeunes affluer vers elle. Les compartiments de 2ème classe (sans couchettes bien sûr) avaient bien été réservés, un participant s’était vu confier le billet de groupe, et nous voilà partis pour toute la nuit vers Cologne, à travers la Belgique. Nous avons eu amplement le temps de faire connaissance et de partager les maigres victuailles des uns et des autres. Pas question de dormir dans ces conditions.
1er contact avec l’Allemagne :
A Cologne, changement de train pour Bad Breisig. Tout le monde descend. Certains s’interrogent à la vue du clocher de la Cathédrale à travers la verrière et décident de mettre à profit cet arrêt pour une courte visite. Méfiant, je reste avec quelques uns sur le quai et pars à la recherche de la correspondance. Dans le brouhaha ambiant, je constate que mes connaissances linguistiques ne me servent à rien pour comprendre les annonces des hauts parleurs.
A l’heure prévue, nous montons avec mon petit groupe dans le bon train, mais le groupe de « touristes » n’est pas là…Constat rapide : le porteur du billet de groupe est parmi eux, nous sommes donc en infraction puisque voyageant sans billets. J’avais eu le malheur de raconter au cours du voyage que je faisais allemand 1ère langue, ce qui faisait de moi l’interprète rêvé ! A mon plus grand effroi, ce qui devait arriver arriva en la personne d’un contrôleur en bel uniforme… Contrôle des billets ! Malgré la fatigue et le trac, j’ai réussi à faire comprendre la situation et avec un grand sourire, le contrôleur me rassura et m’indiqua même qu’il reviendrait nous voir pour nous aider à descendre à destination. Vive l’Allemagne !
Arrivés à Bad Breisig et après une bonne demi heure de marche avec nos bagages sur un chemin forestier, nous voilà arrivés, fatigués mais heureux, au camp de toile de l’organisation « Fahr mit », installé en hauteur avec une vue imprenable sur la vallée du Rhin. Des tentes pour 4 personnes avec des lits de camp posés sur des caillebottis, un emplacement central pour une grande tente / salle à manger et multi activités, un bâtiment en dur pour les douches (eau froide seulement) et les toilettes, 2 énormes camions de la Bundeswehr (armée allemande) et une remorque pour la cuisine de campagne…
Le 1er repas
Entre temps, le groupe français était au complet. Rendez-vous à midi pour le déjeuner, qui constituera pour moi une étape importante dans mon processus d’apprentissage interculturel franco-allemand. Dans la grande tente, assis au bout d’une longue table avec une grande marmite devant lui et une louche dans sa main droite, un cuisinier avec une belle toque blanche. Chacun se saisit d’une assiette, de couverts et s’approche, moi en 1er en vertu de mes supposées compétences linguistiques. Je jette un coup d’œil dans la marmite et j’en déduis qu’il s’agit d’une soupe, dont je ne distingue pas les ingrédients. J’annonce alors par prudence « nur einmal », pour une seule louche, les autres en faisant de même après moi. Nous rejoignons les tables, mangeons de bon appétit (je n’avais pratiquement rien mangé dans les dernières 24 heures) et nous attendons la suite… que nous attendons encore ! On m’expliquera plus tard qu’il s’agissait d’un « Eintopf », plat unique et nourrissant et non pas d’un hors d’œuvre ou d’un potage !
La gastronomie ne devait cependant vraiment pas être le point fort de ce séjour, dont je garderai par ailleurs un souvenir inoubliable. Je me souviens d’avoir eu une boîte de sardines et deux tranches de pain pour un dîner et notre maigre argent de poche passait dans l’achat de saucisses et de petits pains.
Notre camp a été inauguré officiellement pendant notre séjour par le ministre fédéral de la Jeunesse de l’époque, Bruno Heck. Discours à la jeunesse européenne et un buffet dressé pour la circonstance dans la grande tente centrale. Dès la dernière voiture officielle disparue, le spectacle des jeunes dévalant les pentes pour aller récupérer d’éventuels restes restera dans ma mémoire. Malheureusement, les invités avaient eu bon appétit.
La 1ère rencontre avec ma correspondante
Pour mon 2ème weekend à Bad Breisig, j’ai reçu la visite de Ute, avec qui nous avions échangé nos 1ères lettres en 1962, et des ses parents. J’avais demandé à mon professeur d’allemand de m’aider à trouver une ou un correspondant. Il m’avait donné l’adresse d’un organisme à Turku, en Finlande, qui me fournit rapidement les coordonnées de Ute. Je pris ma plus belle plume, mon dictionnaire et j’écrivis, ou plutôt me décrivis, heureux et ravi de pouvoir entamer un échange épistolaire avec une future amie aussi lointaine. Très rapidement, je reçus une réponse m’indiquant la surprise d’avoir reçu ma lettre alors qu’aucune demande de correspondant français n’avait été formulée de sa part. Cet organisme lui avait fourni, quelques temps auparavant et à sa demande, une correspondante anglaise… De plus, Ute m’informait qu’elle n’apprenait pas le français et qu’elle n’avait pas l’intention de le faire. J’ai répondu en regrettant ce malentendu. Sans doute le contenu et la forme de ma lettre ont touché son cœur, sa bonté et sa générosité. Elle m’a à nouveau répondu, renvoyé ma lettre – corrigée-, et, de ce fait, engagé une relation dont nous avons fêté le 60ème anniversaire en 2022 !
Notre rencontre fut une immense joie pour moi, un « coup de foudre d’amitié », la découverte de personnes qui rayonnaient de générosité et de chaleur humaine. Nous avons passé la journée ensemble et ils m’ont annoncé qu’ils m’invitaient chez eux le weekend suivant. Je n’avais pas beaucoup d’argent, mais ils m’ont envoyé un billet de train et m’ont accueilli comme leur fils. J’avais fait part de mes mésaventures gastronomiques, qui avaient rempli d’effroi toute la famille, et la mère de Ute avait eu à cœur d’effacer cette expérience en préparant moults plats en mon honneur. C’est au cours du déjeuner dominical que j’ai prononcé la phrase qui est restée célèbre entre nous, témoin de mon niveau linguistique de l’époque : « alles auf ein Teller », car il était très inhabituel pour moi de retrouver les divers éléments du repas sur une seule et même assiette.
Nous avons passé l’après-midi à Schloss Burg (un beau château dans le Bergisches Land) avec toute la famille à déguster de succulentes gaufres avec de la crème Chantilly et des cerises noires. Le soir venu, un cousin de Ute, militaire en garnison à Coblence, m’a déposé à Bad Breisig les bras chargés de sacs pleins de gâteaux et de friandises. L’accueil au camp a été grandiose !
Je considère cette 1ère rencontre avec Ute et ses parents comme une étape essentielle de mon attirance et de ma relation privilégiée avec l’Allemagne. Elle a été très forte émotionnellement pour moi et m’a ouvert un nouvel univers de générosité et de beauté d’âme et, avec lui, les portes d’une relation qui ne se démentira jamais, avec une présence à tous les moments de ma vie, faciles et difficiles. Ute deviendra la sœur que je n’avais jamais eue, et moi son frère.
Le camp de Bad Breisig réunissait une soixantaine de jeunes français, allemands, garçons et filles entre 16 et 18 ans. Il constituait un espace de liberté en contraste parfait avec mon environnement de l’internat du lycée et sa discipline, loin aussi d’une ambiance familiale un peu sévère et des discours moralisateurs de mon père en conclusion des déjeuners dominicaux. Par delà l’eau froide des douches et l’insuffisance de la nourriture, c’était tous les jours un sentiment d’une immense liberté et de nouvelles rencontres, une évasion totale. J’y ai beaucoup appris, même sur un plan linguistique (!), et je me suis juré d’y retourner l’année suivante. Ce qui fut le cas pour 2 semaines en juillet 1965, suivies pour le groupe français d’une semaine à Berlin.
Ma passion pour l’international et mon apprentissage interculturel ne faisaient que commencer. L’OFAJ avait atteint son objectif !
Ce 1er échange sera pour moi suivi de beaucoup d’autres. Il fut un élément déclencheur de ma fascination et de ma passion pour l’Allemagne, les relations franco-allemandes et l’Europe, qui seront le fil conducteur de ma vie, jusqu’à des fonctions de responsabilité à l’Office franco-allemand pour la Jeunesse pendant 35 ans.
Mais c’est une autre histoire, ce sont d’autres histoires. Dans un prochain numéro ?
Bernard Viale
Ancien Coordonnateur de l’OFAJ, Délégué à la communication de l’AFDMA
GERMANITUDE
“Pour Philippe-Henri Ledru, l’Allemagne est une véritable passion depuis son plus jeune âge, lorsqu’à dix ans il fugue durant des vacances familiales en Alsace pour aller voir ce qui se cache au-delà du Rhin. De séjours en séjours à Bonn, à Flensburg, il finit par s’installer à Münster en Westphalie, pour vivre le pays au quotidien ! Parti pour six mois, il y restera treize ans. Rentré en France, entre deux chaises, il devient une sorte de “passeur” entre deux univers, si proches et si lointains, il écrit, il commente, il traduit dans la langue de Goethe et de Voltaire. Grand voyageur, Ledru couche sa curiosité sur le papier ou sur des toiles pour composer moult tableaux au hasard de ce qu’il rencontre, du plus sérieux au plus cocasse.
Après le Pétocasc paru l’année dernière, l’équilibriste de compositions iconoclastes, déroule une prose inclassable. Fragments d’autobiographie écrits récemment par lesquels il témoigne de sa Germanitude comme Senghor pouvait nommer sa Négritude… en y mettant, sans concessions, autant de lucidité que de cœur et de tripes.
Un autre texte, “Couleurs locales”, Ledru y propose un conte “philosophique” rédigé en 1998, lors d’une résidence à la Villa Waldberta, près de Munich. En Candide de fin XXe siècle, il traverse sa “Germanie” ; paysages, villes, il croque des autochtones croisés… Il dévoile par sa plume habile les aspects insolites et parfois burlesques de ce pays voisin aux clichés toujours tenaces”. (D’après Jean-Hugues Larché, 01/2023)
Extrait :
« J’avais toujours eu un faible pour ces territoires limitrophes où, en un pas, la langue, les pancartes, les plaques minéralogiques, la monnaie, les marques de cigarettes, le pain étaient différents. Notre groupe de Français arriva à la gare routière. Et là, fou rire général, chez les garçons surtout. Un gros ZOB, en toutes lettres. Mais ils sont fous, ces Allemands ; personne ne savait alors que la Zentraler Omnibus Bahnhof, n’avait rien à voir avec les secousses du bas-ventre adolescent. Une famille m’y attendait, et quelle famille ! Moi, le petit provincial habitué au “ confort” d’une famille de la toute petite bourgeoisie aux idées quelque peu étriquées, découvrit un autre monde où l’argent ne semblait pas être la première des préoccupations. Le père, gros agent immobilier avait une grosse Mercedes avec un gros téléphone (nous avions, nous, une petite Dauphine), la mère, médecin à l’hôpital, conduisait, elle, un élégant coupé Mercedes décapotable qui sentait bon le cuir. Ils revenaient avec leurs trois enfants d’une croisière à New York avec le paquebot France. Ils habitaient un superbe pavillon dans la banlieue chic, au design dernier cri avec un bar apparent aux alcools multicolores, mais aussi un piano à queue sur lequel personne ne jouait, piano blanc qui semble, en tous lieux et en tous temps être le marqueur des nouveaux riches. »
Une initiative nouvelle dans le cadre du 60ème anniversaire du Traité de l’Elysée :
« Le passe France-Allemagne »
La SNCF et la Deutsche Bundesbahn ont récemment distribué 30000 passes gratuits à de jeunes Français et 30000 à de jeunes Allemands pour se rendre dans le pays voisin au cours de l’été prochain. Tous les passes ont été réservés dans les heures qui ont suivi l’annonce !
Les manifestations franco- allemandes
A la Maison Heinrich Heine, Cité internationale Boulevard Jourdan, 75014 Paris
C’est l’été, et le programme des manifestations culturelles de la MHH est mis en sommeil pour les mois à venir.
La nouveauté, c’est le départ de Mme Christiane Deussen, la directrice de la Maison Heinrich Heine depuis plus de 20 ans .
En plus de sa fonction « classique » de lieu d’hébergement pour les étudiants, elle en a fait un centre culturel et un lieu de rencontre incontournable pour la coopération et les relations franco-allemandes à Paris, apprécié de tous.
Avec tous nos remerciements pour son engagement en faveur des relations entre nos deux pays et de l’Europe, nos meilleurs vœux de réussite pour ses projets d’avenir.
Pour en savoir plus, voir sur www.maison-heinrich-heine.org
La vie de l’AFDMA
APPEL / RAPPEL
La vie de l’AFDMA, ce sont aussi les cotisations de ses membres et de ses amis.
Merci de soutenir notre engagement !
Le montant a été fixé pour les membres à 35€, et à 25€ pour les amis en 2023, à adresser par chèque à notre trésorier, Olivier de Becdelièvre,
Secrétaire général de l’AFDMA, 101bis rue Lauriston, 75116 Paris.
Pour tout virement, voici les coordonnées bancaires de l’AFDMA : auprès du Crédit Mutuel de Paris :
IBAN : FR76 10278060100002070210112
Site internet www.afdma.fr
Le site internet est régulièrement mis à jour avec des articles d’actualité, souvent rédigés par nos membres, sur l’Allemagne et les relations entre nos deux pays dans le contexte de l’Europe. Voir le « carroussel d’actualité » et « en direct du franco-allemand ».
N’hésitez pas à m’adresser vos articles ou contributions dans le cadre des objectifs de notre association et traitant de l’Allemagne, des relations franco-allemandes et de leur place en Europe.
Page « facebook » de l’AFDMA
Pour mémoire : En plus du site internet «www.afdma.fr », nous disposons d’un outil de communication supplémentaire sous la forme d’une page « facebook », sous l’appellation « Association Française des Décorés du Mérite Allemand ».
Cette page est aussi régulièrement mise à jour et comprend des informations sur la coopération franco-allemande, sur l’Allemagne et sur l’Europe.