La Sarre, une histoire franco-allemande au coeur de l’Europe.
La Sarre, une histoire franco-allemande au cœur de l’Europe
Il y a 65 ans, la Sarre devenait le dixième land de la République fédérale. Ses habitants avaient rejeté un an plus tôt la création d’un « statut européen » pour leur région. Cette intégration eut un effet positif sur les relations franco-allemandes.
C’est le plus petit land d’Allemagne (2 568 km2) après les villes-États. C’est aussi le plus francophile et le plus francophone. Située aux confins de l’Allemagne, de la France et du Luxembourg, la Sarre accueille chaque jour de nombreux travailleurs frontaliers. Mais la proximité avec la France est avant tout le fruit de l’histoire. Le 65e anniversaire de l’intégration de la Sarre à la République fédérale, le 1er janvier 1957, est l’occasion de rappeler ce destin particulier qui fait de la région un trait d’union entre nos deux Pays.
Dès le XVIIe siècle, Louis XIV a mené ses conquêtes à l’est. C’est Vauban, l’ingénieur et architecte royal, qui édifie à partir de 1680 la ville fortifiée de Sarrelouis. Elle restera française jusqu’en 1815. Après les guerres de la Révolution française, la Sarre donne son nom à un département français (dont la préfecture est Trêves, aujourd’hui en Rhénanie-Palatinat). Après le Congrès de Vienne, son territoire actuel sera partagé entre la Rhénanie prussienne et le Palatinat rhénan, annexé au Royaume de Bavière. Il fera partie de l’Empire allemand à partir de 1871. Mais de 1920 à 1935, le traité de Versailles consécutif à la Première Guerre mondiale fait du territoire du bassin de la Sarre (Saargebiet) un territoire administré par la Société des nations. Un plébiscite le rattache au Reich en 1935.
Après 1947, un État autonome économiquement lié à la France
Après la Seconde Guerre mondiale, la Sarre fait partie de la zone d’occupation française. À partir de 1947, elle devient un État sous protectorat français, mais doté d’une souveraineté propre. Autonome sur le plan politique, elle possède sa Constitution, son drapeau, son hymne, sa monnaie (le franc sarrois) et même son équipe de football. Mais elle est sous la tutelle française sur les plans militaire et économique.
La question de son statut se pose à nouveau lors des Accords de Paris du 23 octobre 1954, qui actent la fin du statut d’occupation et l’intégration de la République fédérale dans l’OTAN. Il est prévu de donner à la Sarre un « statut européen » dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Elle devait devenir une sorte d’État modèle européen, tout en restant dans une union monétaire et douanière avec la France. La Sarre « serait devenue une sorte de structure supranationale hébergeant les institutions européennes », expliquait le journaliste Peter Scholl-Latour (1924-2014), qui avait été à l’époque porte-parole du gouvernement sarrois. « Cela aurait donné des avantages importants aux habitants ».
Vers un « statut européen » ?
Un référendum est organisé le 23 octobre 1955. Au départ, le chancelier fédéral, Konrad Adenauer, devait s’attendre à ce que les Sarrois approuvent le projet. Mais les deux tiers des électeurs (67,7 %) ont dit « non ». L’opinion s’est retournée. Cela s’est probablement produit après que les partis et journaux d’opposition ont de nouveau été autorisés. Ils se sont, en tout cas, associés en un front patriotique pour s’opposer au statut européen. Il est vrai qu’au même moment, notait Peter Scholl-Latour, « le deutschemark se renforçait tandis que le franc français s’affaiblissait ».
Quoi qu’il en soit, le référendum ne laissait qu’une issue : l’intégration de la Sarre à la République fédérale, sous réserve d’une acceptation de Paris. Les discussions ont commencé rapidement et abouti, grâce à un rapprochement franco-allemand déjà solide, à un feu vert. Le 27 octobre 1956, la République fédérale et la France signaient les accords de Luxembourg. Le 1er janvier 1957, la Sarre devenait le dixième land de la République fédérale (Berlin-Ouest ayant un statut particulier), en vertu de l’article 23 de la Loi fondamentale (qui servirait plus tard à la Réunification allemande). Le 6 juillet 1959 (le « jour x »), elle abandonnait aussi son union douanière et monétaire avec la France pour se rattacher économiquement à l’Allemagne fédérale.
Adenauer avait été vivement attaqué dans sa défense du statut européen de la Sarre. L’opposition lui avait reproché d’abandonner la Sarre autant que la RDA. Mais le vote sans ambiguïté des Sarrois a coupé court à tout débat, selon l’historien Kurt Sonntheimer. Et « la volonté de la France d’accepter la décision de la population sarroise en toute impartialité a permis l’approfondissement de l’entente franco-allemande » (Anselm Doering-Manteuffel).
Le vote des Sarrois a « définitivement délesté les relations franco-allemandes », jugeait aussi Peter Scholl-Latour. « L’appartenance nationale de la Sarre ne joue plus aucun rôle » entre les deux Pays. Bien plus, la Sarre abrite aujourd’hui de nombreuses institutions franco-allemandes. Et elle est un territoire pionnier de la coopération transfrontalière européenne au cœur de l’eurorégion Sarr-Lor-Lux.