L’avenir de l’Allemagne
Avenir de l’Allemagne
Une analyse des résultats des élections législatives en Allemagne
Par Jérôme Vaillant, pour le site Atlantico
Comme en France, les deux grands partis historiques allemands sont affaiblis. Mais eux, sont prêts à des compromis.
Après seize années au pouvoir, le parti CDU d’Angela Merkel pourrait être remplacé par une coalition réunissant le SPD, les libéraux et les Verts. Selon les premiers résultats officiels provisoires diffusés lundi matin sur le site de la commission électorale, le SPD et leur chef de file, Olaf Scholz, ont recueilli 25,7 % des suffrages, devançant l’union conservatrice CDU-CSU d’Armin Laschet, avec un score historiquement bas de 24,1 %. Les tractations vont débuter pour la nomination du nouveau chancelier.
Atlantico : Selon les résultats provisoires communiqués par le responsable des élections fédérales en Allemagne (Bundeswahlleiter), le SPD est arrivé en tête des élections en Allemagne, avec 25,7 % des voix (contre 20,5 % en 2017), suivi par la CDU-CSU avec 24,1 % (32,9 % en 2017), les Verts avec 14,8 % (8,9 % en 2017), les Libéraux avec 11,5 % (10,7 % en 2017) et l’AfD avec 10,3 % (contre 12,6 % en 2017). Les résultats sont donc très serrés et on ne devrait pas connaître le nom du prochain chancelier tout de suite. Quel type de coalition ces résultats présagent-ils ?
Jérôme Vaillant : Une première approche des résultats consiste en effet à comparer les chiffres de 2021 à ceux de 2017. Il y a trois perdants : La Gauche (- 4,3 points de pourcentage), le parti d’extrême droite AfD (-2,3) et surtout un grand perdant, les Chrétiens-démocrates (- 8,9), qui réalisent leur plus mauvais score historique après un score déjà mitigé en 2017. Il y a trois gagnants : les Verts (+5,9), le SPD (+5,2) et le FDP qui progresse modérément de 0,8 point de pourcentage. Mais surtout il apparaît que si les extrêmes ont vu leurs résultats rognés, il n’y a plus désormais de grands partis au-dessus de 30%. Il y a trois partis entre 15 et 25% (SPD, CDU-CSU Verts), et deux partis autour de 10% (FDP et AfD). Passée en dessous de la barre des 5%, La Gauche sera pourtant représentée au Bundestag parce qu’elle a gagné directement trois sièges dans des circonscriptions de Berlin et Leipzig et bénéficie ainsi d’un règlement qui lui garantit une représentation finalement proportionnelle aux 4,9% obtenus.
Mais cette première approche ne tient pas compte des espoirs provoqués par les sondages d’opinion de ces derniers mois. Crédité il y a encore quelques mois de seulement 20% des intentions de vote, soit en gros son score de 2017, le SPD n’a cessé de croitre jusqu’à atteindre 26% lors de deux sondages de la mi-septembre et de la veille des élections, soit le score qu’il a finalement réalisé. Il est un véritable gagnant. Les Verts progressent légèrement mieux encore que le SPD et pourtant leur score est jugé décevant vu qu’ils avaient été crédités jusqu’à plus de 26% des intentions de vote au point qu’ils se voyaient déjà à la tête du prochain gouvernement fédéral avec une Annalena Baerbock chancelière. En raison d’erreurs commises par leur candidate les Verts ont dû déchanter et le soir des élections celle-ci s’est même excusée d’être responsable du score finalement réalisé, avec la conscience d’avoir peut-être raté une chance historique alors que le dérèglement climatique aurait pu/dû, comme Fukushima en son temps, leur assurer une avance beaucoup plus importante.
Comme les sociaux-démocrates dont le candidat Olaf Scholz a émergé ces derniers mois comme un candidat à la chancellerie plus crédible que ses rivaux, les Chrétiens-démocrates ont réussi, en l’occurrence malgré leur candidat Armin Laschet, une remontée sensible dans les intentions de vote de 20 à 25%. C’est ce qui explique que celui-ci puisse, comme Olaf Scholz, prétendre constituer le prochain gouvernement fédéral avec … les mêmes alliés, les Verts et les Libéraux.
Ce qui reste malgré tout un échec électoral pour les Chrétiens-dérates s’explique par la fin de règne de la chancelière sortante, restée terne pendant son quatrième mandat sauf sur la gestion allemande et européenne de la crise sanitaire, et par les impairs commis par Armin Laschet, bonhomme trop jovial pour être jugé toujours sérieux et surtout ne faisant pas d’étincelles tant il se présentait comme le successeur naturel d’Angela Merkel. A remarquer toutefois qu’Olaf Scholz posait en formant avec ses deux mains un cœur comme cela était devenu le label de la chancelière !
Au total, cela signifie que les électeurs allemands ont voté au centre et n’ont pas, par leur vote, signalisé une envie de changement.
Atlantico : Deux prétendants chanceliers vont devoir gagner à leur cause les Verts et les Libéraux : cette situation est-elle inédite dans le paysage politique allemand ? En quoi les projets et les personnalités des deux candidats diffèrent-ils ?
Jérôme Vaillant : Cela vaut à l’Allemagne une situation inédite. Que deux candidats revendiquent en même temps le poste de chancelier n’est pas en soi une nouveauté. En 1976, fort du score de la CDU-CSU supérieur à celui du seul SPD, Helmut Kohl avait demandé au Président fédéral, Walter Scheel, de proposer sa candidature au Bundestag. Celui-ci avait refusé arguant qu’il devait tenir compte du résultat global des élections, desquels ressortait une majorité portée par le SPD et le FDP qui, pendant la campagne électorale, avaient clairement déclaré vouloir gouverner ensemble. La constitution prévoit en effet seulement (Art. 63) que le Bundestag élit le chancelier à la majorité qualifiée de ses membres sur proposition du Président fédéral qui a, au préalable, entendu les chefs des groupes parlementaires.
La situation est cette année différente de celle de 1976 parce que les partis n’ont pas fait savoir avant les élections avec qui ils souhaitaient former une coalition de gouvernement, se réservant de choisir leur(s) partenaire(s) au vu des résultats et des opportunités politiques. Le président fédéral ne peut donc qu’attendre que les partis se soient mis d’accord entre eux pour faire une proposition au Bundestag. Les mains lui sont liées, il dispose pourtant d’une autorité morale – et politique – dont il peut jouer. Après l’échec des négociations en vue de constituer une coalition aux couleurs de la Jamaïque (CDU-CSU+Verts+FP) au lendemain des élections de 2017, le Président fédéral Steinmeier avait exercé une pression sensible sur les Sociaux-démocrates – qui avaient alors décidé de rester dans l’opposition – pour qu’ils acceptent de négocier avec les Chrétiens-démocrates sur l’ouverture d’une nouvelle grande coalition et sortent ainsi le pays de l’ornière.
Dans les jours qui ont précédé les élections et surtout le soir des élections, les partis ont affiché leurs préférences. Pour le FDP, Christian Lindner a clairement fait savoir qu’il souhaitait une coalition avec la CDU-CSU parce que les deux formations étaient hostiles à des augmentations d’impôts et pour le retour à l’usage du frein de la dette, inscrit dans la constitution – chose qui n’a pas échappé à Annalena Baerbock. La situation serait plus confortable pour le FDP si les Verts étaient encadrés par lui et la CDU-CSU alors que le SPD est comme les Verts partisan d’augmentations d’impôts et favorable à « un aménagement du frein de la dette » donc à une remise en cause du pacte de stabilité conclu en son temps à Maastricht.
Les quatre partis vont devoir s’entendre sur une méthodologie et un calendrier. FDP et Verts voudraient s’entendre au préalable entre eux pour ensuite vérifier auprès des autres partis avec lequel des deux ils s’entendront le mieux. Il n’est pas sûr que cela soit du goût des deux partis qui s’estiment être encore, à tort ou à raison de grands partis.
Les négociations seront délicates et difficiles mais les quatre partis déclarent vouloir aboutir, ce qui ne peut signifier qu’une chose à savoir qu’ils sont prêts à faire des compromis.
Atlantico : Le grand perdant de la soirée est le parti d’extrême gauche Die Linke, dont le résultat est le plus mauvais depuis 2002, ses électeurs s’étant en grande partie reportés vers le SPD et les Verts. Pourquoi cette difficulté du parti à s’implanter en dehors de ses fiefs historiques (Berlin et Leipzig notamment) ?
Jérôme Vaillant : La Gauche perd 4,3 points de pourcentage et passe sous la barre des 5%, ce qui est symboliquement portant, mais elle sera malgré tout représentée au Bundestag puisque elle a remporté directement dans les circonscriptions mandats. Elle devrait avoir ainsi 39 députés au parlement fédéral. Son échec ne peut induire qu’une remise en cause de l’actuelle direction, ses deux présidentes représentant le rigorisme sectaire des militants d’Allemagne de l’Ouest d’une part et la tendance pragmatique qui domine à l’Est.
Lors des élections à la Chambre des députés du même jour à Berlin, La Gauche, qui participait jusqu’à maintenant au gouvernement de la ville-Etat perd certes seulement 1,6 points de pourcentage mais aura désormais du mal à trouver sa place à côté du SPD et des Verts. En Mecklembourg-Poméranie antérieure, elle perd 3,3 points tandis que le SPD, conduit par la ministre-présidente sortante, Manuela Schwesig, gagne 9 points et obtient 39,6% des voix.
Issue d’une fusion jamais réussie entre la WASG dissidente du SPD de l‘Ouest et du PDS successeur du SED au pouvoir en RDA en son temps, La Gauche est restée un parti de l’Est mal accepté à l’Ouest sauf dans des villes universitaires, elle n’a pas réussi à s’affirmer comme le parti national de gauche à la gauche du SPD, malgré les avatars de celui-ci. Alors même qu’elle s’est affichée pendant la campagne électorale comme un parti de gouvernement, elle s’est continuellement contredite en disant son opposition aux opérations extérieures de la Bundeswehr et en maintenant dans son programme son exigence de faire sortir l’Allemagne de l’OTAN.
Comme l’AfD, La Gauche ne sera pas un parti qui compte dans le prochain Bundestag.