Le défi de la souveraineté européenne
Le défi de la souveraineté de l’Union européenne
L’agression russe contre l’Ukraine, la guerre d’un Etat contre un autre souverain, que nul ne pensait voir revenir en Europe, a montré l’urgence de la souveraineté de l’Europe. Par Cyrille Schott, préfet (h.) de région, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), membre du bureau d’EuroDéfense France, Délégué régional de l’AFDMA pour l’Alsace.
Le président français, Emmanuel Macron, prononce en septembre 2017 à la Sorbonne un discours dans lequel il plaide « pour une Europe souveraine, unie et démocratique. » Dans son constat, il souligne que « les passions tristes de l’Europe… se rappellent à nous » et les nomme : « nationalisme, identitarisme, protectionnisme, souverainisme de repli. » Face à ces idées délétères et aux « bourrasques de la mondialisation », il oppose « la seule voie qui assure notre avenir » : « la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique », en précisant : « L’Europe seule peut, en un mot, assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts… »
Un peu plus de quatre années plus tard, la France a assuré, pendant le premier semestre 2022, la Présidence du Conseil de l’Union européenne (UE). Et, après la pandémie, la guerre en Ukraine a souligné l’importance du sujet de la souveraineté. Dressons d’abord l’état des lieux.
La souveraineté de l’Europe : un état des lieux
Si l’Union européenne réunit des éléments d’une souveraineté interne…
Si la souveraineté de l’Europe s’envisage généralement face au monde extérieur, elle doit aussi être située en son sein. Par des traités internationaux successifs, les Etats membres ont créé une Union qui réunit des éléments d’une souveraineté interne.
L’Union européenne, qui n’a pas de durée limitée, possède des institutions remplissant les fonctions exécutive, législative et judiciaire, ainsi qu’une administration. Elle dispose d’un budget, qui comprend, même si leur part est minoritaire, des recettes propres. Elle s’est dotée d’un corps de droit, qui, dans le cas d’un règlement, s’applique directement dans les Etats-membres et, dans celui d’une directive, après transcription dans le droit national.
Certaines politiques, comme la politique commerciale commune ou l’établissement des règles de concurrence relatives au marché intérieur, relèvent de la compétence exclusive de l’Union. De même, la politique monétaire, pour les Etats ayant adopté l’euro. L’Union bat, en effet, monnaie et la Banque centrale européenne est une institution indépendante des Etats.
Les ressortissants des Etats membres jouissent, depuis le traité de Maastricht, de la citoyenneté européenne, qui s’ajoute à leur citoyenneté nationale et les fait bénéficier de droits et libertés, comme la liberté de circulation et de résidence au sein de l’Union ou encore le droit de vote et celui de se présenter partout aux élections locales comme les nationaux.
Une justice européenne a été constituée, avec la Cour de justice de l’Union européenne. Parallèlement aux traités, cette Cour a œuvré par sa jurisprudence à la construction d’une souveraineté interne de l’Union. Elle a posé le principe de la primauté du droit européen, selon lequel ce droit s’impose aux droits des Etats membres. Il doit être respecté par les actes nationaux, quelle que soit leur nature et leur origine, ainsi que par les jurisprudences. La Cour a également promu le principe de l’effet direct, qui permet à un particulier d’invoquer des normes européennes à l’occasion d’un litige avec un Etat ou un autre particulier.
Perpétuité de l’Union, affirmation d’une justice supérieure et d’un corps de droit s’imposant aux Etats membres et valant pour tout citoyen européen, travail d’organes de gouvernement centraux, monopole monétaire dans la zone euro : voilà des éléments de souveraineté interne.
C’est en protestation contre cette évolution que le mouvement souverainiste s’est affirmé. Il a accédé au pouvoir en Europe centrale et est devenu significatif à l’Ouest de l’Union.
… les Etats demeurent souverains
La souveraineté des Etats demeure. Le Brexit a montré qu’un Etat, qui veut se retirer de l’Union, en a l’absolue faculté.
Le monopole de la violence légitime appartient aux Etats membres. La force publique est placée sous leur seule autorité. Les armées relèvent de l’unique souveraineté nationale. La politique de sécurité et de défense commune n’a en rien modifié cette situation. Elle relève, d’ailleurs, du domaine intergouvernemental où les décisions sont prises à l’unanimité des Etats, comme dans des champs aussi cruciaux que celui de la fiscalité.
Selon la définition du juriste et philosophe Carl Schmitt, la souveraineté tient dans la capacité à décider l’état d’exception. L’Union n’en dispose pas, contrairement aux Etats membres, qui peuvent ainsi s’affranchir de tout droit supérieur. Le Président français peut toujours mettre en œuvre, selon les modalités nationales prévues, l’article 16 de la Constitution.
En résumé, si les Etats membres ont accepté au bénéfice de l’Union une limitation de leurs compétences et donc de leur souveraineté, ils demeurent cependant fondamentalement souverains. De façon générale, le rôle des Etats, spécialement du couple formé par la France et l’Allemagne, est incontournable et décisif dans l’évolution de l’Europe.
Si l’Union européenne est un acteur reconnu des relations internationales…
S’agissant de la souveraineté externe, l’UE est un sujet important du droit international. Elle a conclu des accords commerciaux ou de voisinage avec des Etats, des accords avec des organisations internationales, et contribue, parmi les premiers, à l’aide au développement.
Deuxième puissance économique du monde, elle est membre du G20, qui regroupe les plus grandes économies planétaires, et participe aux sommets du G7. La Banque centrale européenne tient un rôle majeur dans le système monétaire international, l’euro étant devenu la seconde devise mondiale, utilisée dans 39 % des paiements internationaux et constituant, en 2020, 21 % des réserves de change des banques centrales. Du fait de l’importance du marché unique et de sa compétence exclusive pour les règles de la concurrence, la Commission sait imposer ses décisions aux firmes multinationales en matière de fusion, et les sanctionner. De même, en tant que première puissance commerciale, l’Union est en mesure de négocier d’égal à égal avec les Etats-Unis ou la Chine et, si besoin, de prendre des mesures de rétorsion.
Son poids économique et démographique (450 millions d’habitants) lui permet de s’imposer comme puissance normative au-delà de ses frontières, ainsi que le montre la mise en œuvre du règlement général de protection des données. Par une politique volontariste, l’Europe a pris la tête dans la construction aéronautique civile et s’est affirmée comme une puissance spatiale, en contrant notamment, avec le programme Galileo, le monopole du système américain GPS.
L’Union s’est dotée d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Elle a créé un Service européen pour l’action extérieure, dirigé par un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Elle est représentée par 150 délégations dans le monde. Par le biais de la Politique de sécurité et de défense commune, le bras armé de la PESC, elle a déployé en quinze ans 36 missions, militaires, civiles ou civilo-militaires, sur trois continents, et y a engagé près de 80 000 hommes.
… elle ne dispose pas de la souveraineté appuyée sur la puissance
Quoique acteur significatif des relations internationales, l’UE ne bénéficie toutefois pas de la reconnaissance accordée aux Etats-Unis, à la Chine ou à la Russie. Elle n’est pas un Etat souverain. Si l’ONU l’accueille en son sein, c’est en tant qu’observateur, tandis que l’un de ses fondateurs, la France, Etat souverain, siège comme membre permanent au Conseil de sécurité. Si elle dispose du Haut représentant pour les affaires étrangères, elle peine souvent dans les crises à définir une position, les Etats membres ne s’accordant pas. Ceux-ci déterminent leur politique extérieure, en tenant leur propre place sur la scène mondiale, ainsi la France, l’Allemagne ou l’Espagne. Militairement, l’Union n’est apte à s’engager que dans des opérations dites de « bas de spectre » et non dans de véritables actions de force.
Il fut un temps où l’Allemagne, divisée, était traitée de géant économique et de nain politique. Cette comparaison vient à l’esprit pour l’Europe, certes créditée du soft power, mais qui ne bénéficie pas de la véritable puissance, celle-ci exigeant, outre le potentiel économique, commercial ou normatif, la volonté politique appuyée sur l’outil militaire et la diplomatie. Or, l’histoire enseigne que la souveraineté doit être portée par la puissance pour être réelle dans les relations internationales.
Des accélérations depuis le discours de la Sorbonne
Des faiblesses révélées par la pandémie se transformant en forces pour la souveraineté
La crise née de la pandémie de la Covid 19 voit d’abord l’Europe en retrait, les Etats membres, compétents dans le champ sanitaire, prenant dans le désordre de premières mesures. L’Union investit cependant rapidement le terrain. D’abord par la réaction prompte d’une institution de nature fédérale, la Banque centrale européenne, qui, dès le mois de mars 2020, annonce l’injection de 1.000 milliards d’euros dans les économies européennes. Ensuite par une décision historique, prise sur le plan intergouvernemental : à la suite d’un accord entre le président Macron et la chancelière Merkel, les chefs d’Etat et de gouvernement arrêtent au Conseil Européen de juillet 2020 un plan de relance de 750 milliards d’euros. Alors que cela lui était interdit jusqu’alors par ses membres, l’Union peut, pour la première fois, emprunter massivement, comme le ferait un Etat souverain, et s’affranchit des contributions des Etats pour son plan de relance. De surcroit, ses emprunts vont créer une dette publique propre à l’UE et un marché mondial des obligations en euros, confortant ainsi le statut international de l’euro.
Après des discussions difficiles, la France et l’Allemagne s’étaient entendues, dans la déclaration de Meseberg de juin 2018, sur la création d’un premier budget de la zone euro. La pandémie a fait passer à l’arrière-plan les débats sur l’euro, qui avaient été vifs. Le travail cependant s’est poursuivi. Le budget de l’UE pour la période 2021-2027 comprend un instrument budgétaire propre à la zone euro, le mécanisme européen de stabilisation des investissements, ainsi qu’un programme d’appui aux réformes, composé d’un outil d’aide à la mise en place des réformes, ouvert à tous les Etats membres, et d’un mécanisme de soutien à la convergence pour ceux qui veulent adopter l’euro. L’accord de Meseberg avait prévu aussi le renforcement du Mécanisme européen de stabilité (MES), avec le filet de sécurité commun, pour éviter une crise bancaire majeure. En 2021, ce filet de sécurité a effectivement été introduit, à travers le Fonds de résolution unique, dans le MES, réformé et musclé. L’euro, instrument de souveraineté, a continué à progresser pendant la crise sanitaire…en silence
Cette crise a révélé aux Européens, dans des domaines déterminants de la souveraineté, leur dépendance. Outre la sanitaire, d’autres dépendances sont apparues, comme celles à l’égard des semi-conducteurs ou des matériaux de la lutte contre le réchauffement climatique. L’Union a investi activement le champ sanitaire, spécialement dans le domaine des vaccins. Des plans ont été lancés, des alliances européennes ont vu le jour pour développer des projets industriels majeurs pour les batteries, l’hydrogène, la nano-électronique ou encore le cloud. A travers son « Pacte vert », lancé en 2019, l’Europe s’est inscrite en pilote dans l’action internationale contre le changement climatique.
Si la fermeture des frontières lors de la pandémie a pu faire penser au repli national, cette clôture, en mettant au jour les contrariétés à la vie des gens qui lui étaient liées, a fait prendre conscience aux Européens du bien précieux qu’était la liberté de circulation.
La pandémie, après un début semblant afficher la faiblesse de l’Union, a finalement permis à celle-ci d’avancer, à l’image des crises passées. De la faiblesse a surgi la force. Tandis que la pandémie occupait l’actualité, sur un autre terrain, Frontex, l’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, dévoilait au début de l’année 2021 les uniformes dont seraient dotés ses agents, appelés à atteindre l’effectif de 10 000. Frontex est devenue ainsi la première unité de sécurité européenne dotée d’uniformes propres.
Dans la même année 2021, si l’arrêt du Tribunal constitutionnel polonais d’octobre a contesté la primauté du droit communautaire, l’espace juridique commun a néanmoins progressé à nouveau, par la création d’un parquet européen chargé de lutter contre les infractions pénales aux intérêts financiers de l’Union, telles que la fraude, la corruption, le blanchiment de capitaux. Les 22 Etats membres ayant adhéré au parquet ont transféré à un organe judiciaire européen indépendant une compétence régalienne et conforté l’Union dans le domaine pénal.
La volonté d’une défense européenne affirmée par la guerre en Ukraine
Face à l’agression russe, l’Alliance atlantique, avec la garantie des Etats-Unis, s’est montrée incontournable sur le plan militaire. Lorsque Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères, s’est exclamé en 2019 : « C’est notre assurance vie ! », il a reflété un sentiment dominant, spécialement en Europe centrale et orientale. Des Etats de l’UE qui ne sont pas membres de l’OTAN, comme la Finlande ou la Suède, pensent désormais à la rejoindre.
Cette situation a toutefois mis à nu la faiblesse européenne quant à sa défense. Or, rien ne dit que l’assurance otanienne sera valable quel que soit le président américain, la situation politique aux Etats-Unis ou le champ d’intervention potentiel. La crise a fait gagner des années à cette prise de conscience : l’Europe ne peut se contenter de la puissance économique et commerciale, mais doit construire sa propre défense. En complémentarité de celle de l’alliance atlantique, comme souligné dans la déclaration conjointe du 29 octobre 2021 des présidents Macron et Biden, lors de leur rencontre romaine : «…les États-Unis reconnaissent l’importance d’une défense européenne plus forte et plus opérationnelle, qui contribue positivement à la sécurité mondiale et transatlantique et soit complémentaire avec l’OTAN. »
La guerre a provoqué une unité européenne inédite et a montré la force économique et financière de l’UE, par son poids dans les sanctions décidées. Elle a fait voir l’accord des Européens pour l’hospitalité aux réfugiés d’Ukraine, cet accord ne signifiant certes pas l’effacement des divisions passées pour l’accueil de personnes fuyant d’autres continents. Dans le domaine militaire, l’UE, en dégageant un milliard d’euros pour des livraisons d’armes à l’Ukraine, a brisé un tabou. La clause de défense mutuelle de l’article 42, paragraphe 7, du Traité sur l’Union européenne a été considérée avec un intérêt nouveau par des pays, comme la Finlande et la Suède, voisines de la Russie et non membres de l’OTAN.
La dernière crise, celle du départ du Royaume uni, a permis à l’Europe de réaliser des avancées : mise en œuvre de la coopération structurée permanente, pour développer les capacités de défense ; création de la capacité militaire de planification et de conduite, pouvant préfigurer un état-major opérationnel ; en parallèle à ces initiatives de l’UE, lancement par la France, sur le terrain opérationnel, de l’initiative européenne d’intervention. La création du Fonds européen de défense a inscrit pour la première fois la défense dans le budget de l’UE avec une dotation de 8 milliards d’euros. De même, est apparue dans ce budget la facilité européenne pour la paix, afin de soutenir la politique étrangère et de sécurité commune dans ses actions militaires. Elle a pu être utilisée pour les livraisons d’armes à l’Ukraine. La France et l’Allemagne ont, par ailleurs, décidé le développement avec l’Espagne du programme de l’avion du futur, ainsi que celui du programme du char du combat du futur.
Malgré ces avancées, on reste loin d’une armée européenne et d’une véritable capacité de défense. Pour que l’Europe soit en mesure d’assurer sa défense, elle doit franchir le pas intellectuel de s’assumer, par-delà la puissance économique, commerciale, normative, comme puissance militaire et diplomatique. Cela signifie une force militaire, la capacité de la commander et de planifier, la capacité politique de décision en vue de l’utiliser, tout cela appuyé sur une base industrielle et technologique de défense.
Le Conseil européen a adopté le 25 mars 2022 la « boussole stratégique », le premier livre blanc européen de la défense et la sécurité. Cette feuille de route prévoit, entre autres, de mettre sur pied une force de réaction rapide de 5.000 hommes, de consolider les structures de commandement, de développer la cyberdéfense et une stratégie spatiale, d’accroitre les budgets militaires des Etats membres. La menace venue de la Russie a conduit à rehausser l’ambition de la boussole stratégique, sans que celle-ci ne retranscrive toutefois la rupture évoquée par le président Macron et le chancelier Scholz.
Dans son adresse aux Français du 2 mars dernier, Emmanuel Macron a déclaré : « … notre défense européenne doit franchir une nouvelle étape… D’ores et déjà, notre Europe a montré unité et détermination. Elle est entrée dans une nouvelle ère… La guerre en Ukraine marque une rupture. » Ces propos ont été en résonance avec la déclaration d’Olaf Scholz du 27 février au Bundestag : « Nous sommes à un tournant historique…la guerre de Poutine marque une rupture. » Le chancelier a alors opéré un vrai changement de paradigme dans la politique de défense allemande, en s’écartant de cette retenue stratégique qui l’a marquée jusqu’à présent. Il a annoncé, entre autres, un budget de 100 milliards d’euros pour moderniser l’armée allemande. Il a aussi déclaré : « Le défi consiste à renforcer… la souveraineté de l’Union européenne… »
La souveraineté de l’Europe reste un défi, qui peut être relevé
La prise de conscience a eu lieu. Le défi demeure. L’interrogation concerne la traduction concrète que prendront les décisions et intentions nées des crises de la pandémie et de la guerre en Ukraine. L’accroissement des budgets militaires sur le continent permettra sans doute le renforcement annoncé dans la boussole de la base industrielle et technologique de défense, en d’autres termes des industries de défense en Europe. Il pourra aussi entrainer une dépendance accrue à l’égard de l’industrie de l’armement américaine. Comment s’articulera une vraie défense européenne avec la défense atlantique ? La réduction indispensable de la dépendance énergétique à l’égard de la Russie se traduira-t-elle par l’autonomie énergétique de l’Union ou par d’autres dépendances, notamment envers les Etats-Unis, à travers le gaz de schiste ? Les Européens sauront-ils résister aux sanctions extraterritoriales américaines, qui les ont, par exemple, empêché de continuer à entretenir des relations commerciales avec l’Iran après que le Président Trump se soit retiré unilatéralement en 2018 de l’accord nucléaire ?
Dans le domaine du numérique, où aucune des entreprises majeures n’est européenne, la politique de l’Union saura-t-elle changer de dimension face à la poursuite de la montée en puissance concurrente des Etats-Unis et de la Chine et de leur découplage initié sous la présidence Trump et dans lequel s’insère désormais la Russie ? Dans la bataille engagée, si elle stagne dans sa position d’infériorité, l’Europe n’aura le choix que de s’inscrire en position de suiveur, comme pour la défense, dans l’orbite américaine.
A condition de le vouloir et en étant solidaires, les Européens peuvent répondre de façon positive pour leur souveraineté à ces questions, tout en restant fidèles à l’alliance atlantique.
En conclusion, il faut garder à l’esprit que la construction européenne s’effectue dans la dynamique, mais délicate, rencontre du pragmatisme et de l’idéal, dans la composition à trouver sans cesse entre les intérêts des Nations constitutives et les exigences d’une véritable union. Le compromis est, au total, sa marque de fabrique. La résolution de la crise nécessite généralement ce compromis. Et ainsi, elle fait avancer l’Europe. Ensuite, c’est à l’abri du bruit médiatique, comme l’écrit un observateur, que, « avec beaucoup de mécanismes de softlaw, de programmes, de stratégies, de plans d’action…, l’Union européenne tisse une sorte de toile d’araignée pour contraindre les Etats à aller de l’avant, mais c’est un long travail.»[1]
Grâce à leur avance dans l’économie, les sciences, les armes et l’organisation de l’Etat, les Européens, bien que désunis, ont su conquérir au XIXe siècle des empires. Ce temps est révolu. A présent, les Etats-continents, ces nouveaux empires, menacent la souveraineté des Européens s’ils restent dans l’isolement. Par rapport à l’époque médiévale où le sujet de la souveraineté est entré dans l’histoire, la scène où le verdict tombe a changé de dimension, de même que la puissance des acteurs en présence. Alors, la scène était réduite à l’Europe, où des royaumes à l’extension limitée se voulaient souverains face au pape et à l’empereur d’un Saint Empire affaibli. Aujourd’hui, la scène s’est déplacée et est devenue mondiale ; quant aux acteurs envers lesquels l’Europe doit relever le défi de la souveraineté, ce sont des Etats à l’extension continentale et à la puissance planétaire. La souveraineté internationale, pas plus que jadis, ne sera offerte. Elle ne peut s’édifier que dans l’unité face à un « autre », qui par sa force, d’adversaire, de concurrent ou de protecteur, veut imposer sa propre souveraineté. Dans la configuration future de la planète, les Européens ne seront souverains qu’à travers l’Union.
Cyrille Schott
Article paru dans « la Tribune ».
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[1] Henri Labayle, L’embryon de parquet européen est à portée de main, sur le site Internet « Toute l’Europe », 21/01/2015.